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Jean-Luc Loyer, Sortir de terre et le bassin lensois : “Toutes les énergies d’aujourd’hui reposent sur un passé que l’on ne peut pas effacer”

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Résidant à Angoulême depuis une trentaine d’années, Jean-Luc Loyer est originaire de Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais) où est encore toute sa famille. Il revient sur la réalisation de Sortir de terre, conçu avec avec son ami et complice Xavier Bétaucourt (ayant vécu pour sa part de Lille avant d’émigrer plus récemment dans le centre de la France).

Jean-Luc Loyer et Xavier Bétaucourt (photo Youenn Martin / Voix du Nord)

Jean-Luc Loyer, comment est né ce projet Sortir de terre ?

On avait fait avec Xavier Bétaucourt le Grand A, aux éditions Futuropolis, où on avait décidé de parler de l’implantation du plus grand hypermarché Auchan du monde… Et cela dans la région quasiment la plus pauvre du Nord – Pas-de-Calais. Ce livre a eu son petit succès dans la région, évidemment. Et les gens d’Euralens ont aimé le fait que nous disions du bien et du mal de la région mais surtout que nous aimions bien notre région. Ils nous ont contacté pour nous proposer de parler, dans le même esprit, de Lens, de la chaîne des terrils et de la région un peu plus grande qui va de Lewarde jusqu’aux bords de Flandre.
Notre condition, qui a été tout de suite acceptée, était de pouvoir dire ce que l’on voulait. Nous n’étions pas dans un état d’esprit polémique, mais on se disait que si l’on voyait des choses négatives, il fallait pouvoir le dire. Mais, surtout, nous étions dans un esprit curieux… d’aller voir simplement.

Qu’avez-vous vu et retenu, justement ?

Nous avons mis en avant ce qui nous plaisait. Mais aussi des choses que l’on ne serait jamais allé voir, des endroits inattendus ou d’autres que l’on connaissait déjà, comme des médiathèques, mais où on s’est rendu compte du changement de fonctionnement. L’aventure de ce livre a commencé ainsi.

Vous êtes tous les deux du coin, c’était important pour le projet ?

Oui, et c’est toujours un plaisir pour nous d’évoquer la région.

Euralens a dix ans, comme le projet du Louvre-Lens, mais vous remontez bien plus loin dans le passé, jusqu’à la préhistoire…

Depuis toujours, on entend parler du charbon, du « pays minier », mais d’où vient le charbon ? Bon, c’est con comme question, mais on s’est dit qu’il fallait aussi y répondre dans ce livre. Et puis cela permettait bien sûr de parler du centre minier de Lewarde, qui est un lieu emblématique. Donc, oui, nous nous sommes amusés à avoir cet aspect historique et d’essayer de montrer ce qu’avait pu être la région à la période glaciaire.

Plus proche historiquement, vous consacrez une autre partie du live à l’industrie minière, c’était incontournable ?

L’écueil, c’est de parler des mines, et on voulait parler d’autre chose, mais oui, comme vous dites, la chaîne des terrils est “incontournable”. Car toutes les énergies d’aujourd’hui reposent sur un passé que l’on ne peut pas effacer et qui est vraiment attaché aux gens. Ainsi, par exemple, quand on va sur la cockerie de Drocourt, où l’on nous montre un éco-parc très chouette, et que l’on demande si on y fait aussi pousser des légumes, le responsable nous dit : « oui, on fait venir de la terre… parce que la terre d’ici est trop polluée, ce serait dangereux ! » ! Tout est plombé. C’est un paradoxe : on a un beau parc et derrière il y a des terrils qui sont encore chauds et il faudra au moins attendre cinquante ans avant de pouvoir construire dessus et faire autre chose. Donc, même avec la meilleure volonté du monde, ici, on est attaché à tout ce passé et il faudra du temps pour s’en détacher. D’où le titre : il faut sortir de terre. Mais il faut sortir de là, en fait. Cela ne se fera pas tout seul, mais cela se fait.

Vous évoquez en effet dans cet album une série de projets novateurs, mais en même temps, vous parlez aussi de choses patrimoniales qui subsistent, comme ce chapitre dans la communauté polonaise ou celui consacré au Racing Club de Lens…

Oui, ça c’est vraiment ancré dans les esprits. Lors de notre enquête sur le terrain, lorsqu’on demandait aux gens s’il y avait des choses à voir dans le bassin lensois, on nous disait : « Bein, il y a le RC Lens ! ».  Et lorsqu’on les interrogeait sur le Louvre-Lens, la réponse était souvent : « On y est allés une fois, c’est bon… par contre le Racing club de Lens, faut y aller tout le temps ! ».

Dans un autre genre, je me souviens aussi de cette dame à qui on évoquait les musées et autres lieux d’intérêt de la région et qui nous a répondu : « moi, ce qui m’intéresse, ce sont les Gilles de Binche, il faudrait qu’il y en ait plus souvent ». Là, on se rend compte que pour certains, souvent des personnes âgées, il y a une autre forme de culture qui persiste. D’où aussi l’histoire de Gigi, cette dame que l’on évoque dans le livre, qui vient au Louvre-Lens pour la première fois et qui découvre que cela peut être intéressant. Donc les choses sont en train de bouger.

Il y a aussi l’ambivalence, très bien décrite, avec cet hôtel de luxe qui s’implante dans l’ancien coron, juste en face du Louvre-Lens, et les réactions des riverains qui sont invités à la soirée d’inauguration…

C’est déchirant, en effet. Ce sont des gens qui ont habité parfois toute leur vie là ; ils ont dû partir pour être relogés ailleurs – sans doute mieux, d’ailleurs – et on les invite car on a fait de leurs maisons un hôtel pour les visiteurs qui vont venir au musée. C’est à la fois pathétique et plein d’espoir de faire venir des gens extérieures. On tourne une page et ce n’est pas facile. On souhaitait avoir aussi les commentaires de ces habitants, de parler des rénovations, de voir comment on préserve un patrimoine important et comment on essaie aussi d’aller ailleurs.

Comment s’est fait le choix entre tout ce que vous avez dû voir et retranscrire de ce qui resterait dans l’album ?

Il y avait des choses un peu redondantes. Et puis, il y a eu parfois des coups de cœur. Quand on va à Grenier, par exemple, avec la médiathèque qui se dote d’un estaminet. Là, on sent bien que ce n’est pas l’argent le motif, mais la volonté de rendre aux gens ce qui leur appartient. Et de montrer comment la mairie s’en mêle, comment les acteurs sociaux s’en emparent. Et ce n’est pas qu’une question d’argent…

Cette énergie est aussi comme un fil rouge tout au long du livre…

Oui, au fond, il y a une volonté derrière. Après l’argent il y en aura plus ou moins. Et c’est une problématique qui va aussi revenir au Louvre-Lens. Dedans, c’est un bel écrin, mais ce n’est pour autant que les gens viennent spontanément, il faut aller les chercher. C’est un peu général à la culture aujourd’hui. Il faut prendre les gens par la main.  C’est un peu l’idée d’ailleurs quand le Louvre-Lens fait une expo sur le RC Lens. Des gens sont venus pour la première fois dans le musée et ils ont vu autre chose. C’est aussi l’idée de faire un loto dans le Louvre-Lens, que l’on montre aussi dans l’album. Moi ça m’a fait marrer, mais cela met le musée au centre de quelque chose.

Il y a une vraie démarche. Avec peut-être même des retombées sur le Louvre à Paris, qui regarde ça… Moi, je leur ait proposé de faire une exposition sur le PSG !

… ça, cela pourrait être plus pour le Louvre à Dubaï !

Oui, bonne idée.

Il y a aussi dans l’album des petits clins d’œil à vos œuvres passées, à Metaleurop, au drame de Courrières

Oui bien sûr. Car ces histoires-là, comme le Grand A ou mon premier album sur mon enfance ch’ti, Mangeurs de cailloux, ce sont les mêmes gens dont on parle. Alors, forcément, le Grand A, on était aussi obligés d’en reparler.

Combien de temps avez-vous passé sur cet album ?

Cela nous a pris une année. Au départ, nous voulions aller plus vite, mais le temps d’enquête, le temps passé sur le terrain pour voir les gens, discuter et rediscuter entre nous a été prenant. Pour le coup, cela a interrompu le livre que nous sommes en train de faire avec Xavier sur la justice en France.

Pour le dessin, comment avez-vous travaillé pour ce type de BD-reportage ?

Toujours sur photos. Sur le terrain, j’essaie de faire des croquis mais c’est toujours à partir de photos. Par exemple, quand nous évoquons la vigne sur le terril, j’y suis allé plusieurs fois, je les ai accompagné, j’ai vu comment ils travaillaient. Ensuite, chez moi,  je re-raconte en fait, je remets en scène, les personnages ne sont pas forcément ressemblants. Je sais que je ne suis pas un super-dessinateur, je n’ai pas un graphisme titanesque mais je crois que pour ce genre d’histoire, ça va.

Euralens a eu un droit de regard sur l’album ?

Non, pas du tout. En fait, ils nous ont demandé deux ou trois trucs. On a toujours dit « oui », mais on n’a rien fait. De toute façon, c’était bien clair avec Xavier dès le début. On a dit ce que l’on a vu.

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