Retour sur une belle édition 2019 des Rendez-vous de la bande dessinée d’Amiens en six points… et une nouvelle galerie photos.
Que retenir de cette 24e édition des Rendez-vous de la bande dessinée d’Amiens ? Placé sous l’égide conjointe de Batman et de Blake et Mortimer revisités à la sauce Schuiten, ce festival 2019 confirme une forme de maturité et de légitimité
1. Une légitimité institutionnelle et publique renforcée
Légitimité au sein du petit monde de la bande dessinée acquise depuis longtemps (notamment auprès des auteurs), mais en voie d’atteindre une plus large reconnaissance, en particulier institutionnelle. Au-delà des propos convenus d’inauguration, les Rendez-vous de la bande dessinée deviennent bien, en matière culturelle, l’un des événements marquants d’Amiens mais aussi des Hauts-de-France où n’existe aucun festival de BD de cette ampleur, mais aussi avec ce travail de médiation au quotidien tout au long de l’année, qui s’incarne notamment dans les prix remis par les collégiens et les lycéens mais aussi le concours de bande dessinée amateurs.
2. Une implication fortuite dans le débat sur le statut de l’auteur de BD
Légitimité aussi, bien qu’involontaire puisque ce week-end, Amiens a été le réceptacle de l’actualité du monde de la BD avec deux déclarations choc. Celle de François Schuiten, d’abord, invité vedette à Amiens, dont le site Actua BD annonçait le jeudi la décision d’arrêter la bande dessinée (il y est revenu ensuite plus en détails dans un entretien avec notre confrère de France 3 Picardie Stanislas Madej).
Déclaration ensuite du directeur général adjoint de Dargaud Benelux, Yves Schlirff, qui, lors de la journée professionnelle des Rendez-vous, ce vendredi 31 mars, lâchait une petite bombe en assurant que « La bande dessinée, ce n’est pas un métier en soi. Cela devient un métier quand on vend. C’est pareil pour la littérature… »
Repris par le site de référence ActuLitté, ces propos ont déclenché une petite réaction en chaîne parmi les auteurs, avec entre autre une réaction de Denis Bajram, particulièrement mobilité par le sujet. Et une question qui repose avec acuité la question de la viabilité et du statut de l’auteur de bande dessinée.
Si, comme l’a fait lors de l’inauguration amiénoise le représentant du préfet de région Hauts-de-France, on peut se réjouir des données économiques globales du marché de la BD – secteur parmi les plus dynamiques de l’édition aujourd’hui – ou sur la croissance du nombre des albums, cette surproduction se paie aussi par un accroissement de la précarité des auteurs. Et cela pose aussi la question de la répartition des bénéfices.
François Schuiten, avec la stature qui est la sienne, nous avait aussi évoqué en effet sa lassitude d’une logique économique ne permettant plus de se consacrer trois ou quatre ans à la réalisation d’une bande dessinée d’auteur ambitieuse et très travaillée. Mais la situation est bien plus dramatique pour bon nombre de scénaristes et de dessinateurs dont les ressources tirées de la BD se situent en-dessous du niveau de pauvreté. A la veille d’une “année de la bande dessinée” décidée par le ministère de la Culture pour 2020, la question est donc de nouveau relancée.
3. Une visibilité accrue
Fortuite s’agissant de ce débat, la visibilité accrue des Rendez-vous de la bande dessinée d’Amiens est en revanche effective s’agissant de son transfert depuis l’an passé dans la Halle Freyssinet. Une installation qui a fait franchir un cap incontestable à la manifestation en lui permettant une plus longue durée d’exposition (tous les week-ends de juin), mais aussi en lui donnant un statut plus muséal, dans lieu véritablement pensé pour le festival. D’où la pression renforcée mise sur l’avenir de celui-ci dans ses lieux – annoncés dès le départ comme éphémères et en lien avec le programme immobilier du quartier. D’autres solutions pourront et seront sans doute trouvées, mais il faudra qu’elles soient à la hauteur du projet développé depuis 2018.
Car, après une première année faite aux forceps et dans l’urgence (mais qui, globalement, avait satisfait le public), l’organisation de cette édition 2019 a confirmé la maturité de l’association On a marché sur la bulle à gérer un tel dispositif (pas du tout évident quand on découvre la halle nue).
Les petites touches réalisées en matière de gestion de l’espace, faites avec la scénographe Alexandra Maringer, afin de fluidifier encore les échanges, ont sans doute eu leur effet positif même s’il est difficilement perceptible.
4. Un pluralisme dans les expositions
Maturité aussi dans l’offre proposée au public, avec une expo-phare (Le Dernier Pharaon, de Blake et Mortimer, qui restera dans les esprits de ceux qui l’ont vu, entre autre pour la surprise de cette grande pyramide renversée et l’étonnante qualité du rétro-éclairage des planches originales), mais aussi toute une palette allant de l’univers de Bots et ses robots ultra-référentiels, bien restitué par cette installation ouverte et ludique, jusqu’aux plus pointues et denses expositions sur Beyrouth (avec la présence d’auteurs libanais durant tout le festival) ou indie Americans – qui, certes, n’était pas inédite mais offrait au public amiénois une possibilité exceptionnelle de saisir la diversité des styles et auteurs américains indépendants.
Autre forme de maturité, celle “d’assumer” d’avoir une exposition consacrée aux Editions de la Gouttière, émanation de l’association On a marché sur la bulle. Mais avec la reconnaissance de la profession en matière d’édition jeunesse (et deux prix ACBD sur trois éditions du prix des journalistes et critiques…), et à l’occasion des dix ans, il aurait été dommage de s’en priver. D’autant que la mise en scène choisie permettait notamment d’apprécier une belle série d’originaux (voire même un vrai tableau inédit pour la série Anuki) des auteurs.
5. La diversité de l’offre
Il faut aussi noter la diversité des propositions au-delà des expositions de planches. Les visites dans les expos, les rencontres (avec cette année quand même Marc-Antoine Mathieu pour la scénographie de la BD, les auteurs du Dernier Pharaon ou Enrico Marini), la profusion de propositions jeunesse et pour les enfants et même le format original de “la fabrique de la bande dessinée” sont désormais des classiques pour le festival d’Amiens, qui ont prouvé encore leur pertinence, en terme d’intérêt du public, cette année.
A cela, il faut ajouter – et saluer – les très réussis “concert dessiné” avec les deux séances assez magiques de piano oriental raconté par Zeina Abirached ou de “danse dessinée”, le dimanche avec la performance en direct de deux danseurs, Astrid Boitel (plutôt connu au festival pour ses talents de traductrice) et Thomas Queyrens évoluant respectivement dans un registre de danse classique et plus contemporaine associés à deux dessinateurs, David Prudhomme et Edmond Baudoin, qui ont capté dans l’instant le mouvement et l’énergie développés sur scène.
Il faut encore évoquer dans cette approche singulière un espace “jeux” investi totalement par Okko, d’après l’univers de Hub ou une “fabrique de la bande dessinée” dédiée aux coloristes animé par le Rémois Christian Lerolle (un des grands pros du genre). Et, dans le registre de l’accueil des visiteurs et de l’incitation à la lecture, l’élargissement de l’offre était encore là, après les “boîtes à lire” de l’an passé – toujours en place – avec les chaises longues Batman et une terrasse bien équipée en food trucks.
6. Synergies locales
Dernier aspect, plus “local”, l’implication notable de différentes associations ou structures amiénoises, comme les fidèles BullDog (pour la captation vidéo) ou Waide Somme mais aussi désormais l’île aux fruits (pour la restauration en “circuit très court” puisqu’implantée près des Hortillonnages) ou la Machinerie (qui a notamment conçu la fameuse machine à badges de l’expo Bots). Et de nouveau, cette année, la Maison de la culture qui accueillait (et accueille jusqu’à cet automne d’ailleurs), la superbe expo “Sumos” de David Prudhomme et la rétrospective Enrico Marini.
Toute chose qui font conserver un très bon souvenir de cette édition 2019. Une édition qui se prolonge donc les prochains week-ends jusqu’à fin juin (on y revient très prochainement avec le détail des auteurs).
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