
Le 7 septembre 2018, Ahmed porte plainte auprès de la gendarmerie de Péronne : « Hier, j’étais venu faire des courses. Quand je suis sorti du magasin, ma Clio blanche avait disparu ». Les gendarmes ouvrent une procédure, le retraité de Monchy-Lagache déclare aussitôt le vol à son assureur.
Le 14, les policiers de Saint-Quentin (Aisne) retrouvent la Clio blanche de 2009, sans trace d’effraction. Ils exploitent la vidéosurveillance de la rue – pas de chance pour Ahmed, pour une fois qu’une vidéosurveillance n’est pas en panne, ou mal orientée, ça tombe sur lui! – et découvrent avec surprise que le 6, à 19 h 08, un individu grisonnant en est sorti, bientôt rejoint par une femme du même âge, portant un panier de courses.
L’épouse d’Ahmed est entendue et, sans peine, résoud ce qui n’était déjà plus une énigme : « Il m’a dit qu’il voulait faire croire au vol de la voiture. Pourquoi ? Il n’y a que lui qui pourra vous le dire ! À 2000 euros, elle ne partait pas, elle était vieille. Alors il a eu cette idée. On est allé chez le boucher hallal, comme trois ou quatre fois par mois, et puis on est reparti en taxi. Il ne savait pas qu’il y avait des caméras ».
Elle ajoute des détails qui ne s’inventent pas : « Avant, il a retiré ses quatre jantes neuves. Moi, j’ai repris la couverture en peau de mouton à l’arrière, parce que j’y tenais, et je l’ai remise dans notre deuxième voiture, le Berlingo ». Les gendarmes insistent, se demandant s’ils ne tiennent pas là une complice de l’infraction : « Mais vous n’avez pas pu le dissuader ? » L’épouse lève les yeux au ciel : « Ah monsieur ! Vous ne le connaissez pas ! Vous croyez que je peux l’empêcher ? Quand il a une chose en tête… »
Entre la caméra, sa femme et la peau de mouton, Ahmed est cerné. Même son avocate Me Brochard-Bédier, semble attendre avec impatience ses aveux. Mais Ahmed n’en démord pas. « Oui on va souvent dans cette boucherie, mais cette photo, elle n’a pas été prise le 6 ! Ma femme, elle a été enlevée de ses parents par la police en 1950 et depuis, elle a la phobie de la police. Les gendarmes, ils faisaient les questions et les réponses. J’ai eu douze voitures dans ma vie, monsieur, et j’ai jamais… »
« Il n’y a aucune trace d’effraction… », suggère la juge, plus douce que sévère. « Oui mais maintenant, les voleurs, ils ont des ordinateurs »,répond Ahmed. La voix se trouble. Le vieil homme digne, jamais condamné, dans sa veste claire et son pantalon du dimanche, pleure. Contre son cœur, il tient une pochette bleue avec écrit en grosses lettres « Clio ». On imagine le bureau impeccable, les dossiers bien rangés, une vie nickel avec une seule petite tâche de rouille…
Il est reconnu coupable et écope de mille euros avec sursis.
La Clio a été vendue au profit de l’assureur.
La peau de mouton va bien, merci.
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