L’ombre d’un Monstre, Emmanuel Beaudry (scénario), Virgile Antoine (dessin et couleurs). Editions Redeye, 64 pages, 14 euros.
Emmanuel Beaudry et Virgile Antoine sont arrivés au bout de leur projet. Un financement participatif réussi et la création de leur propre maison d’édition ont permis aux deux auteurs amiénois de faire sortir leur Monstre de l’ombre.
Ce “monstre”, c’est celui qui est accusé d’avoir tué et brûlé atrocement un jeune garçon du village, dans un petit coin de Picardie au printemps 1914. Devant l’émoi que ce crime horrible suscite parmi la population, l’Etat envoie un jeune inspecteur aux méthodes novatrices, Jacques Lardière. Ce pionnier de la police scientifique, membre des Brigades du Tigre, s’immerge dans la population où bientôt on lui désigne les meurtriers présumés : un cirque étrange qui s’est installé aux abords de la commune. Un cirque qui ne comprend justement que des “monstres”, aux corps difformes et grotesques.
Lardière parvient, par ruse, à s’introduire au sein de ce “freak show” où il va découvrir une toute autre réalité que celle qu’on lui a évoqué. Samson, son directeur, entend justement ne pas réduire ces “freaks” à leur condition mais en faire de vrais artistes. Parmi ce petit monde: jeune garçon à l’air de grenouille, femme à barbe, géant, Lardière ne va pas être insensible à une bien jolie acrobate… à trois jambes. Entre jalousie et calomnies, rumeurs et colère villageoise qui monte, l’inspecteur finira par découvrir une vérité renversante.
Avec ce récit rural et historique, Emmanuel Beaudry emprunte une nouvelle route dans l’univers du polar, arpenté jusqu’ici sous la veine du giallo ou du thriller hard-boiled. La confrontation entre les médisances de village et le monde des freaks (plus généreux et empathiques que la bande du film de Tod Browning) est bien restitué et les personnages, atypiques, acquièrent vite une vraie consistance. La singularité du dessin au stylo bille de Virgile Antoine, entre style réaliste et semi-réaliste, disparaît un peu derrière les aquarelles, à l’ambiance chromatique plutôt bien rendue. Le trait est parfois un peu hasardeux mais l’ensemble colle bien à cette ambiance villageoise rétro.
Si l’intrigue parvient à éviter la fin attendue, ou du moins telle qu’elle était évoquée, sa résolution se montre un peu trop maligne pour ne pas être un brin frustrante. Léger agacement dissipée par la véritable chute de l’histoire, avec une note d’ironie douce-amère qui remet bien en perspective cette confrontation entre modernité et tradition.
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