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La peur n’évite pas le danger

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Comme moteurs de l’action humaine, l’amour et la haine viennent immédiatement à l’esprit. A fréquenter les cours d’assises, on placera au moins sur la troisième marche du podium un autre sentiment puissant : la peur.

Romuald est un solide gaillard, chauffeur de taxi dans une ville de l’Oise, pas plus bête qu’un autre. Pourtant, le 10 septembre 2014, il a eu « des gestes irréfléchis » d’après le psychologe ou, vu par Romuald lui-même, été « complètement con ».

Ce soir-là, un homme, Morgan, sonne à sa porte vers 23 heures pour qu’il l’emmène à l’aéroport de Roissy. Sa femme s’enferme dans leur chambre. Il descend et tombe nez à nez avec un toxicomane qui lui pointe un revolver sur la tempe. De peur, le taxi à la carrure de rugbyman s’écroule. Puis il fouille ses poches, en sort 150 euros. Ce n’est pas assez : « On rentre », ordonne le junkie, qui reste dans le hall et laisse Romuald remonter dans la chambre. Il est libre, alors ; libre de s’enfermer, libre de crier à la fenêtre, libre d’appeler les gendarmes. Non : il fouille dans la lingerie, en sort l’étui à lunettes ou sont cachés 250 euros et redescend servilement les remettre à son bourreau. C’est aberrant, « complètement con », pour reprendre ses mots, mais « j’étais tétanisé, hypnotisé par l’arme. Par-dessus tout, je ne voulais pas qu’il monte ».

Un peu plus tard, le braqueur l’oblige à prendre le volant de son fourgon Mercedes. « J’étais persuadé qu’il allait me tuer », tremble encore Romuald. Quatre cents mètres plus loin, ils s’arrêtent. Morgan lui dit « Barre-toi, c’est fini » et prend le volant. Romuald va-t-il piquer un sprint ? Se jeter dans un talus ? Non, il s’éloigne à petits pas. Morgan est perdu avec la boîte automatique, il rappelle Romuald et ce dernier revient, explique le fonctionnement ! Va-t-il enfin foutre le camp ? Non, « je ne sais pas ce qui m’a pris, j’ai coupé le contact et ouvert le porte-clef pour récupérer ma clef de maison. Tant que j’y étais, j’ai aussi repris mon portefeuille  dans la boîte à gants. J’ai même dû prouver qu’il n’y avait pas d’argent dedans. Je sais, c’est ridicule. Il aurait pu me tuer alors que des papiers, ça se refait… »

Le psychologue parle de « sidération anxieuse », de « conduites paradoxales », de « panique qui parasite les capacités de réaction ». En regardant Romuald, on pense à toutes les victimes de Pol Pot, Staline ou Hitler, sidérées, paralysées, asservies par un bourreau qui possédait la force quand elles n’avaient plus que la peur.

Me revient en tête l’affaire Lemaire : la femme et les deux amants qui tuent le mari gênant. Quand Lanternier, l’un des deux, avait expliqué être rentré chez lui sous la menace de Ricaux puis être ressorti avec des outils, je fus de ceux qui écrivirent qu’il signait ainsi sa culpabilité : s’il était si menacé, que ne s’était-il pas enfermé dans sa maison pour appeler les policiers ? Cinq ans plus tard, je me rends compte que si j’admets la sidération de Romuald, je dois bien accorder le bénéfice du doute à Lanternier. La chronique judiciaire, c’est comme la vie : on n’acquiert pas de certitudes en vieillissant, on se contente de perdre les rares que l’on possédait…

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