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Mieux avant

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J’ai connu les derniers bals. Nous nous retrouvions au café de village avant de rallier, entassés dans la 4L de Serge ou la Visa de Michel, des destinations aussi exotiques que Millebosc ou Guerville. L’entrée coûtait 20 francs et donnait droit à une consommation, sauf quand deux bals se faisaient concurrence à quelques kilomètres d’écart : il arrivait alors que telle société de chasse ou tel comité des fêtes nous séduisît en offrant deux consos par entrée. La carte des boissons était sobre comme un banquet de noces nord-coréen : Coca ou Orangina pour les filles, Kro ou Kanter pour les gars, qui l’étaient beaucoup moins (sobres, pas coréens). Les vingt balles extirpées de nos poches en jeans ou en Tergal, on frappait le dessus de notre main d’un tampon prouvant que notre droit à guincher sur Sabrina ou Mickael avait été acquitté. Ceux qui avaient fait le mur sollicitaient que le tatouage éphémère s’inscrivît plus haut sur le bras, histoire de le retirer à la vue des parents le lendemain matin.
Tout ça pour vous dire que je sais à quoi ressemble une bagarre, qui généralement commençait par l’inoubliable : « Eh, t’as regardé ma copine ? » Quand tu as vu les gars du Tréport affronter ceux de Blangy, une torgnole ou un filet de sang ne te choquent pas plus que ça. Les gars se recroiseraient parfois en junior, sur un terrain de foot, dès 10 heures le lendemain. Au pire ça donnerait lieu à des tacles virils. Je ne jure pas que c’était mieux avant. Il est vrai qu’un coup peut toujours tuer et que nos périples à trois grammes dans des voitures sans Airbag nous mettaient aussi en danger.
Je pensais à mes bals en observant la confrontation entre Hamidou et Tristan, la semaine dernière. Par la grâce d’un procès d’assises, on était aux premières loges. Hamidou soupçonnait Tristan de lui avoir volé une moto et le cherchait assidûment. Tristan ne s’est pas dégonflé et il est venu au contact sur la place de son village de Saint-Germer-de-Fly (Oise), le 27 septembre 2013. Il était armé. Hamidou a pris l’arme et a tué Tristan. C’était une bagarre du XXIe siècle, une explosion causée par des centaines de mèches sur Facebook. Les gars n’avaient pas fait les cafés de campagne : ils sont fermés depuis longtemps, remplacés par des Abribus où la 8º6 coule à flots, dans les vapeurs d’un cannabis qui a substitué depuis belle lurette la Gitane blanche sans filtre, celle qui nous faisait nous prendre pour des hommes, des vrais.
Je pleure sur mes premières cigarettes et mes derniers bals ; ils rendent trop pesante une vie trop longue, mais Tristan ne méritait pas de bifurquer à 24 ans de cette vallée de larmes. Les milliers de jours dont il a été anormalement privé méritaient d’être vécus.
Au fait : c’était vraiment mieux avant.

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