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Vive le Boléro et vive l’Union soviétique!

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Michel Krauze (à gauche) et Philippe Nowak, à la librairie Cognet. Photo : Philippe Lacoche.

J’avais lancé, la semaine dernière, un vibrant et très émouvant appel après la perte supposée de mon petit carnet rose Gallimard, à l’emblème du titre d’un des romans (Vingt-quatre heures de la vie d’une femme) de l’un de mes écrivains préférés (Stefan Zweig). Je pensais l’avoir égaré dans l’un des trois bars de ma tournée de dédicaces, Mise aux verres, déclinée en trois lieux Le Bar du Midi (BDM), le Café Chez Pierre et le bistrot Saint-Germain. A l’endroit des deux premiers, je développais peu de soupçons car j’avais fait preuve d’une sobriété exemplaire. En revanche, dans le dernier, je m’étais laissé un peu aller. «J’ai dû le laisser tomber au Saint-Germain», songeais-je, penaud. A moins qu’il ne fût victime du trajet. Un trajet; c’est terrible, un trajet. Ça ne sert pas à grand-chose. On devrait éliminer les trajets de nos pauvres vies de merde. On devrait se téléporter d’un endroit à un autre, d’une femme à une autre, d’une famille (décomposée) à une autre (recomposée), d’un divorce à un autre, en évitant tous ces déplacements inutiles; ces confrontations aux éléments, à la pluie, à la froidure. Et tous ces gens qu’on croise dans les rues. C’est affreux. Bon, j’y viens. Je n’avais pas envie de l’avouer mais Sylvie Payet, dite la Marquise, a vendu la mèche sur Facebook. Mon fichu carnet rose, je ne l’avais pas du tout perdu; je l’avais juste rangé dans l’une des poches de mon pardessus que je n’utilise jamais. J’ai honte. La vieillesse est un naufrage. A ce propos, à la première page dudit carnet, il y a cette phrase de Stefan Zweig : «Vieillir n’est jamais rien d’autre que n’avoir plus peur du passé.» J’ai dû naître vieux car je n’ai jamais eu peur du passé. Au contraire, je l’adore, le passé. Il est doux, amorphe, inoffensif comme un gros chat castré. (Bien sûr que c’était mieux, toujours mieux, avant.) Tout le contraire du présent – fatiguant, éreintant -, et du futur – incertain, flippant, absurde, menaçant, morbide car conduisant, inéluctablement à la mort. Après ce passage empreint de joie et d’espoir, revenons à mes pérégrinations. Je me suis rendu avec un vif plaisir à la librairie Cognet, à Saint-Quentin pour y signer mon dernier roman. M’y attendaient deux vieux camarades très rock’n’roll : Michel Krauze et Philippe Nowak. Nous avons évoqué nos années d’antan.

Des noms et des visages repassaient dans nos vieilles mémoires, comme des ombres. Raymond Défossé, Jean Poupart, Florence B. Des ombres qui se sont tues. C’eût pu être nostalgique, mélancolique. Ça l’était mais nous étions bien. Les liens de l’amitié génèrent toujours le meilleur. Il en fut de même, quelques jours plus, quand nous nous rendîmes, mon adorable petit Gnou et moi, au Zénith d’Amiens pour assister au Boléro, ballet en deux actes interprété par l’Opéra national de Russie, épaulé d’un orchestre symphonique tout aussi agréablement soviétique. Oui, soviétique. C’était beau, puissant, discrètement érotique. Hommage à Ravel bien sûr, mais aussi à Ida Rubinstein, danseuse russe d’origine juive, née en 1883, mécène, qui, en 1928, commanda le Boléro à son ami Ravel. Mon petit Gnou, ancienne danseuse, n’en perdait pas une miette. Incorrigible, je pensais à Pierre Dac et à Francis Blanche, et fredonnais intérieurement «L’Internationale». En ces périodes où il est de bon ton de fêter les murs qui s’écroulent (pour laisser entrer le pus du capitalisme au nom de la liberté consumériste), chanter à tue-tête mon hymne préféré m’eût conduit à l’échafaud de la pensée unique.

 Dimanche 24 novembre 2019.

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