Ce n’est pas parce que l’amour était le thème du 33e salon du livre et de la BD de Creil que je m’y suis rendu. Non. L’amour, à mon âge: est-ce bien sérieux? Sous les frimas poisseux, humides, pisseux, grisâtres et crades de novembre, je me pose, c’est vrai, la question. Non, ce n’est pas l’amour qui m’a conduit à Creil mais le fait que les organisateurs aient, depuis des années, l’amabilité de m’y inviter comme écrivain, mais aussi comme critique afin d’y animer – avec d’autres consœurs et confrères – débats, conférences et tables rondes.

Lui, je ne l’ai pas interviewé; j’ai seulement fait sa connaissance et j’en suis ravi. J’ai nommé Roland Gori. (Phonétiquement, tout cela rime parfaitement bien.) Psychanalyste, professeur honoraire de psychopathologie, en compagnie de Stefan Chedri il a impulsé, en décembre 2008, la création du mouvement «Appel des appels». (Le but de ce dernier: lutter contre la sécurisation des hôpitaux psychiatriques et contre le dépistage précoce des jeunes délinquants, mesures proposées par le bouillonnant et extrêmement nerveux Nicolas Sarkozy, que notre actuel et si intensément ultralibéral président de la République amiénois aurait tendance à pousser dans l’océan de l’oubli.) Roland Gori lutte aussi contre la norme, la société consumériste. C’est dire si son discours m’a séduit. Le capitalisme et l’ultralibéralisme en prenaient plein à la tronche. Un vrai bonheur.

Un autre moment de bonheur intense: lorsque j’ai interviewé Danièle Sallenave pour son Jojo, le gilet jaune (éd. Gallimard, collection Tracts; Nº5; 3,90€). Depuis le début du mouvement, l’académicienne défend les Gilets jaunes. Nous ne pouvions que nous entendre. Elle vient du petit peuple; elle le revendique. Elle ne comprend pas le mépris affiché par les beaux esprits de l’intelligentsia de la gôche à l’endroit de ceux qui en ont marre de se retrouver le 3 du mois dans le rouge et à qui ont reproché de mettre du gas-oil dans leur voiture quand ils vont bosser, à 6 heures du matin. Il est assez répugnant ce mépris de la gôche non-marxiste pour le peuple. On n’a plus le droit d’aimer son pays sans être populiste; on n’a plus le droit non plus de conspuer l’Europe allemande des marchés; on n’a plus le droit de rien face à ces beaux esprits de la pensée unique. Dans son essai, Danièle Sallenave révèle «l’étendue et la profondeur de la fracture qui sépare les «élites» des «gens d’en bas»…» Jojo, le Gilet jaune est un petit livre à mettre entre toutes les mains.





Plaisir également de retrouver Annie Degroote, Isabelle Rome, Arnaud Le Guern et Jean-Claude Lalumière, auteur du remarquable roman Reprise des activités de plein air (éd. du Rocher). Et de faire la connaissance de la délicieuse Corine Jamar, tout droit venue de Bruxelles pour présenter son dernier roman Les replis de l’hippocampe (éd. Bamboo). Elle était ma voisine de table; on a bien ri. Lorsque le dimanche soir, j’ai quitté le salon, il faisait toujours aussi froid et humide. L’envie de voir l’Oise de près me prit. J’eusse pu m’y jeter et nager à contre-courant jusqu’à Condren, tout près de Tergnier, la ville de mon enfant où il fait toujours beau. Je m’abstins: j’avais le dernier roman de Modiano à terminer.
Dimanche 1er décembre 2019.
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