Barrier, Brian K.Vaughan (scénario), Marcos Martin (dessin). Editions Urban Comics, 192 pages, 22,50 euros.
Le scénariste hyper-doué Brian K.Vaughan retrouve son complice de The Private Eye, Marcos Martin, pour un nouveau récit de science-fiction reprenant le format à l’italienne du précédent album (qui reflète le format initial en ligne, publié sur PanelSyndicate), mais aussi une forme de déstabilisation narrative poussée encore plus loin.
Au départ, il s’agit ici d’un récit très contemporain et réaliste. A la frontière du Texas, une jeune propriétaire terrienne, Liddy, tente à dissuader les migrants de passer par ses terres, subissant des menaces des cartels de passeurs jusqu’à, semble-t-il, décapiter ses chevaux en guise d’avertissement. C’est par ses terres qu’Oscar, parti du Honduras pour fuir un drame familial, cherche à passer aux Etats-Unis. Mais tous deux vont se retrouver embarqués dans une “rencontre du troisième type” et un kidnapping spatial qui va les contraindre à mieux se comprendre, malgré la barrière des langues, et à tenter de s’en sortir dans cet univers inconnu peuplé d’aliens incompréhensibles.
Dans leur précédente collaboration, Vaughan et Martin creusaient la réflexion sur la place d’internet dans nos vies. Cette fois, ils se concentrent sur un autre sujet bien d’actualité: l’immigration clandestine. Mais, plus largement, il s’agit bien d’évoquer les diverses barrières qui séparent les hommes: barrières physiques – tel le mur que Donald Trump ambitionne de bâtir entre le Mexique et le Colorado… mais déjà bien existant à la frontière du Nouveau Mexique ou du Texas – mais aussi barrières linguistiques, voire, ici, barrières d’espèces.
Pour être pleinement en cohérence avec son projet, l’album assume jusqu’au bout l’expression de cette altérité. Avec déjà la reprise du format à l’italienne, atypique dans le monde du comics, un découpage très cinématographique multipliant les cadrages incongrus et les gros plans insolites mais aussi avec un récit un peu haché et une histoire qui ne livrera tous ses secrets qu’à son ultime épilogue. L’étrangeté et l’incompréhension de l’inconnu se concrétisent aussi à travers la description surprenante et très réussie des extraterrestres et de leur vaisseau.
Surtout, et avant tout, Barrier propose une expérience de lecture “bilingue”, voire trilingue assez unique. En effet, si les Américains – convention de traduction oblige – s’expriment en français, Oscar et les personnages sud-américains le font en espagnol… et les Aliens avec des bulles de couleur (et pour ceux-là, sans aucune traduction, seulement la “version originale”). De quoi, forcément, rendre la lecture un peu difficile, voire rebutante. Mais l’histoire demeure toujours compréhensible, notamment par la force des images. Et c’est la grande réussite de l’album de proposer une vraie immersion sensitive face à l’autre, l’inconnu, celui qu’on ne comprend pas.
Une audace payée de succès grâce à une trame narrative qui relie bien les différentes séquences d’apparente disparate et un récit qui multiplie les rebondissements et happe le lecteur dans un monde déstabilisant, mais rendu fascinant par son étrangeté et par son brio graphique.
Une expérience de lecture qui casse effectivement toutes les barrières.
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