The Unwritten, entre les lignes, volume 1, Mike Carey (scénario), Peter Gross (dessin). Editions Urban comics, 328 pages, 28 euros.
Wilson Taylor a bâti une saga fantastique au succès mondial avant de disparaître, voilà une dizaine d’années. Son fils, Tom Taylor continue à vivre de la renommée de son père et de sa similitude avec le héros des romans, le jeune sorcier Tommy Taylor constamment aux prises avec le méchant comte Ambrosio. Mais dans une convention, l’identité réelle de Tom est mise en cause. N’aurait-il pas été un fils adoptif racheté à une famille roumaine ? Ou, plus étrange et magique encore, Tom ne serait-il pas Tommy Wilson lui-même, basculé dans notre « monde réel » ?
Déstabilisé et poursuivi par les fans, Tom décide de retourner à la maison familiale, la villa Diodati, sur les rives du lac Léman, qui n’est autre que la bâtisse gothique où Mary Shelley aurait eu l’inspiration de Frankenstein… Là, les ennuis vont véritablement commencer pour lui, après un massacre en série très gore dont tout l’accuse.
Vedette de seconde zone recyclée, cible médiatique, messie présumé, puis prisonnier et devenu la victime d’une machination qui le dépasse et qui semble tout droit sortie de l’imaginaire de la série paternelle, reste à voir si Tom saura se servir des conseils étranges que lui donnaient son père, le contraignant à apprendre par coeur les lieux et adresses évoqués dans des romans célèbres. Comme une carte littéraire mondiale…
Des héros de papier qui se découvrent comme tels ou interviennent dans la vie réelle, des écrivains aspirés dans leurs oeuvres, des évocations littéraires qui se concrétisent dans le monde réel, ces interactions assumées entre réalité et fiction ne sont pas inédites en bande dessinée – on songe à Opus, l’excellent mangas de Satoshi Kon ou dans un autre registre à la série City Hall de Rémi Guérin et Guillaume Lapeyre. Un thème bien sûr très présent en littérature (par exemple La part des ténèbres de Stephen King ou Coeur d’encre de Cornelia Funke pour ne citer qu’eux) ou sur grand écran dans l’Antre de la folie, l’envoûtant film de John Carpenter. Mais ici, Mike Carey, auteur prolixe de comics, propose un récit particulièrement vertigineux et aux ramifications exponentielles.
Au départ, The Unwritten semble être une petite variation amusée autour de Harry Potter (le comics est paru en 2008, en pleine « pottermania »), parue chez Vertigo / DC Comics. De fait, au début, le « jeune sorcier Tommy Taylor » ressemble à une version décalée du héros de J.K. Rowlings, dans une ambiance gothique enfantine illustrée à travers différents « extraits » ouvrant les premiers chapitres d’un récit interrogeant aussi la célébrité (par procuration). Mais, bien vite, l’intrigue glisse vers quelque chose de nettement plus complexe, en relation de plus en plus prononcée avec l’univers littéraire: Rudyard Kipling, Mark Twain, la Chanson de Roland à Roncevaux, Frankenstein, mais aussi le Juif Süss transformé en propagande de haine par les nazis ou l’innocent univers animalier et enfantin du Lapin de velours de Margery Williams s’inscrivent dans le récit. Des références pour le moins disparates qui commencent à s’intégrer dans une trame pour le moins bien maîtrisée pour l’instant, qui questionne sur l’importance de la fiction et des mythes et la manière dont ceux-ci façonnent l’histoire de tous.
Face à cette vaste réflexion, le dessin de Peter Gross s’avère, en revanche, plutôt passe-partout et sans génie. Du moins dans la trame principale de l’histoire. Il se montre plus inspiré, dans des styles diversifiés, pour mettre en images les différents chapitres « fictionnels », avec un soin particulier pour « les contes du Bois des jolis songes », qui terminent ce premier tome.
Enfin, si la réunion en un seul gros volume de ces douze premiers chapitres en transforme forcément un peu la lecture, il faut aussi saluer le sens du rythme et la manière dont les deux auteurs parviennent à susciter l’intérêt à chaque fin d’épisode.
Ajoutons que, comme d’habitude, cette réédition de comics sous forme de « beau livre » cartonné s’accompagne d’un riche dossier, avec des postfaces, des croquis de couverture, des extraits de scripts ou la proposition officielle faite par Gross et Carey pour lancer leur série.
Toutes choses qui donnent en tout cas envie de poursuivre la lecture de ces éléments encore « non-écrits ».
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