Je n’aime plus l’hiver. Je l’ai beaucoup aimé, enfant, lorsqu’il était blanc. Je me souviens des bonhommes de neige que nous faisions, mes copains et moi, sur la petite montée, près du transformateur électrique qui menait à la cité Roosevelt, à Tergnier. Ces carottes que nous déterrions dans les silos des jardins de nos pères ou grands-pères, carottes nasales; ces boulets de charbons qui provenaient des caves familiales, boulets oculaires. Les hivers, alors, scintillaient de cristaux de joie neigeuse. Il me revient aussi ceux des vacances d’hiver que je passais à Sept-Saulx, entre Reims et Châlons-sur-Marne (pas encore Châlons-en-Champagne) chez mes grands-parents maternels, jardinier et gardienne de la propriété du château Mignot. Les Trente glorieuses exultaient. 1961 ou 1962; c’était la fin de la guerre d’Algérie. Un de mes oncles portait un uniforme. Permission pour les fêtes? Certainement. Son calot, plié à la japonaise, enroulé sur son épaule gauche. Son teint basané, sa peau tannée par les presque vents du désert, juraient sur le blanc immaculé du chemin poudreux qui menait à la Vesle. Mon regretté cousin Guy (le Pêcheur de nuages) et moi, emmitouflés comme des esquimaux, nous envoyions des boules ouatées en hurlant. Ces hivers-là détenaient le parfum, rare et précieux, de joies merveilleuses. Que sont-ils devenus, ces hivers de l’enfance? Enfouis sous les épidermes et dermes des années mortes. L’hiver 2019-2020 ne me séduit guère; sa mélancolie jaunâtre et humide m’inquiète. Ses ciels ressemblent à ceux des printemps précoces qui s’effilochent, dès mars, en des langueurs filandreuses et grêlées comme les peaux des ados.

De la grêle parlons-en. Il y a quelques semaines alors que je m’apprêtais à rentrer dans ma maison de Résistant du faubourg de Hem, une averse de grêle s’abattit sur le quartier. Je me penche vers le trottoir, attiré par les perles de glace qui recouvrent, peu à peu, les minuscules herbes sauvages que je persiste à laisser pousser devant la façade. Les petits grêlons me font penser aux œufs d’escargots que nous trouvions, enfants, dans les talus et jardins de la cité Roosevelt. L’enfance, toujours l’enfance, encore l’enfance; je n’en sortirai jamais.

Il me faut parfois de la musique pour l’oublier et ne pas sombrer dans la nostalgie. Ainsi, l’autre soir, à mon cher bistrot Saint-Germain, j’ai assisté au concert du duo So Watt (06 21 59 12 14; sowatt.group@gmail.com). Ester, au chant, et Vincent, à la guitare, égrènent avec talent des reprises de jazz et de soul. À leur répertoire: Ella Fitzgerald, Amy Winehouse, Etta James, Otis Redding, etc. J’eus, alors, l’impression étrange de vivre l’instant présent jusqu’au moment où un morceau me rappela, encore, non pas l’enfance, mais l’adolescence. Un concert des Candles, groupe ternois, équipé d’une section de cuivre puissante et rougeoyante comme le foyer d’une locomotive à vapeur. Un concert, oui, certainement au dancing de Fargniers; mon cousin Guy devait se trouver à mes côtés. En écoutant la reprise de Sam & Dave pensions nous, de concert, aux hivers enneigés de nos enfances défuntes. Le Pêcheur de nuages n’est plus là pour me répondre. So sad.
Dimanche 9 février 2020.
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