
« C’était mon frère. On travaillait tous les jours ensemble. Il faut une bonne entente. Depuis le 12 décembre 1962, on n’avait jamais été séparés, à part pendant mon armée et quand il était parti en pension. Moi, c’était plutôt les bêtes et lui, plutôt les champs », se souvient Jean-Bernard, un homme un peu perdu, qui a mis ses habits du dimanche pour passer deux jours devant la cour d’assises de la Somme et faire face au meurtrier de Jean-Noël.
Le 13 février 2018, il faut monter un mur en parpaings dans une étable. « Nono » s’y emploie pendant que Jean-Bernard répartit de la paille dans les hangars. Il est un peu agacé par la présence de Loïc, le copain un peu attardé de la voisine, qui à 20 ans « se lève à des 11 heures » et ne trouve rien de mieux à faire que d’errer dans la ferme, en compagnie de Jean-Noël. Nono, c’est le plus sociable des deux, il rend des services dans tout le village, conduit la voisine à droite et à gauche, fait partie du comité des fêtes.
« J’ai dû être absent sept minutes » : Jean-Bernard a tellement ressassé la scène qu’il pourrait vous décrire chacune des 420 secondes qui la composent. Pour autant, il ne saura jamais pourquoi Loïc (condamné à 15 ans ce 11 février) a fracassé le crâne de Nono de six ou sept coups de marteau. « Je suis arrivé, je l’ai vu allongé sur le ventre dans la tranchée, du sang partout », revit Jean-Bernard à la barre des victimes. « J’ai essayé de le relever mais je n’ai pas pu, je n’ai pas pu… Il avait préparé son rang d’agglos. Quand on l’a sorti de là, il y avait l’empreinte de ses coudes dans le ciment. »
Elle y est toujours, certainement, seul souvenir, avec une tombe au cimetière, du passage sur cette terre de Nono. Pour celui qui reste, « c’est la solitude, continuer tout seul, ne plus pouvoir faire ce qu’on avait imaginé, restaurer la ferme pour la revendre et plus tard pouvoir acheter une petite maison ». Et cette terrible culpabilité : pendant sept minutes, ne pas avoir veillé sur son petit frère.
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