Mary Jane, Frank Le Gall (scénario), Damien Cuvillier (dessin). Editions Futuropolis, 88 pages, 18 euros.
Mary Jane Kelly est entrée dans l’histoire en tant que dernière victime de Jack l’éventreur. La plus jeune et la plus belle, dit-on. Mais elle était surtout une jeune femme à la destinée tragique, dans l’Angleterre victorienne de la fin du XIXe siècle. Et c’est cette histoire que content Frank Le Gall et Damien Cuvillier.
Le premier drame survient dans sa vie alors qu’elle n’a que 19 ans. Jeune mariée, éduquée (elle sait lire et écrire, ce qui n’est pas le lot de tous alors), elle devient veuve après la mort de son mari, Davies, dans une explosion minière. Seule, elle s’enfuit pour échapper aux services de “charité publique” et quitte sa campagne galloise pour aller à Cardiff. Mais la rencontre avec une bande de “romanis”, en fait de pauvres travailleurs sans emploi ni domicile, vont la pousser à aller à Londres.
Là, elle rencontre Peter White, dit “Snakesman”, le premier à s’intéresser à elle… Mais à des fins intéressées également. Elle se retrouve ainsi vite à la merci d’une mère maquerelle, Mistress Kate et est contrainte à arpenter les trottoirs, avec l’ivresse du gin comme seul réconfort. Une existence de peur, de dégoût, de violences, qui va s’achever une nuit de novembre 1888…
C’est une histoire qui vient de loin. De la fin du XIXe siècle et de son plus mystérieux serial killer présumé donc. Mais aussi d’une trentaine d’années, lorsque Frank Le Gall, l’auteur de la mythique série Théodore Poussin, entreprend de conter l’histoire de Mary Jane Kelly et Jack L’Eventreur. Non pas un énième retour sur le tueur, comme il s’en explique dans Le Dernier chapitre, texte placé à la fin de l’album, mais pour parler des femmes assassinées, “ces victimes, en laissant dans l’ombre leur meurtrier, pour lequel je n’éprouvais, moi, ni fascination, ni respect“.
Lorsqu’il se lance dans le projet, prévu alors pour la collection Aire Libre de Dupuis, à la fin des années 1990, Le Gall manquant d’informations sur la vie de Mary Jane Kelly décide alors d’élargir le propos aux conditions sociales de l’époque et aux Bas-fonds victoriens. Mais, pour diverses raisons éditoriales et personnelles, l’album n’avance pas. Au bout de quinze ans, Frank Le Gall n’a toujours qu’une trentaine de pages de réalisées. Et c’est ainsi, qu’en accord avec Claude Gendrot, son éditeur de Dupuis passé chez Futuropolis, le projet est confié à un autre dessinateur, qui va être Damien Cuvillier, déjà auteur chez Futuropolis de Nuit noire sur Brest puis du graphiquement encore plus superbe Eldorado.
Cette fois encore, le dessinateur picard parvient à associer la beauté de son trait sensible à un univers devenant de plus en plus sombre et glauque. Le style est très réaliste – parfois frontal, notamment dans une séquence, dessinée de façon clinique, de la violence sexuelle subie par Mary Jane.
Celle-ci se découvre tout d’abord à travers des témoignages posthumes et un peu vagues de ceux qui l’ont croisé. Une fois embarquée dans son périple vers Londres, on ne la quittera plus, l’accompagnant dans ce chemin de croix social. S’attachant à dépeindre avant tout l’ambiance de ce Londres misérable et sa faune, avec beaucoup de détails, Mary Jane laisse dans l’ombre Jack l’Eventreur, à peine esquissé (peut-être) dans une case. Une manière de faire survivre la jeune prostituée à son assassin. Et, loin de tout sensationnalisme, de lui redonner toute sa dignité et son épaisseur sociale et historique.
Rencontre-dédicaces avec Damien Cuvillier, samedi 29 février de 14 à 18 heures, librairie Bulle en stock, 4, rue du Marché-Lanselles à Amiens. Et exposition de planches originales de "Mary Jane" dans la librairie jusqu'à la mi-mars.
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