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Perdue ans la nuit moite…

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« Cette inconnue », d’Anne-Sophie Stefanini, enquête sur la disparition d’une opposante au régime, au Cameroun.

Anne-Sophie Stefanini. Photo : F. Mantovani.

Un bon livre, c’est un peu comme un taxi : il vous happe ; vous vous y installez ; vous vous y trouvez bien ; il y fait chaud ou frais, selon la météo extérieure ; vous en sortez, lesté d’émotions, tantôt joyeux ou tout enduit d’une mélancolie acidulée selon la conversation du chauffeur-auteur.

« (…) roman intense, mystérieux et puissamment réussi car reposant sur des faits historiques réels. »

Dans Cette inconnue, quatrième roman d’Anne-Sophie Stefanini, il est, justement, beaucoup question de taxis. Nous sommes à Yaoundé, au Cameroun, en 2018, c’est-à-dire presque aujourd’hui. Ruben, l’un des personnages principaux, a choisi – on ne comprend pas tout de suite pourquoi – d’embrasser la profession de chauffeur de taxi. Il scrute la nuit droit dans ses yeux sombres, inspecte ses moindres recoins, frémissements, odeurs et bruissements. On comprend qu’il chercher quelque chose. Mais quoi ? Mais qui ? A son rétroviseur pendouille une photographie enchâssée dans un médaillon. C’est celle d’une femme. On la suppose assez jeune, belle et blonde. Les clients la contemplent parfois ; parfois, Ruben se risque à leur demander s’ils la connaissent, s’ils l’ont croisée. L’inconnue, c’est elle, la femme pendue au rétroviseur. Cette femme se prénomme Catherine. Catherine Agostini. Elle vient de Paris où elle a été étudiante. Une étudiante militante, révolutionnaire, un peu hippie sur les plages de Sicile en 1982, beaucoup activiste pour la libération du Cameroun, devenue communiste par conviction mais aussi par amour pour Jean-Martial, journaliste, un intellectuel communiste qui lutte contre le pouvoir dictatorial de son pays. Ruben est le fils de Jean-Martial, décédé au sortir des geôles de son pays après avoir été humilié, martyrisé, maltraité. Constance est la fille de Catherine. A Yaoundé, enfants, Constance et Ruben étaient voisins et inséparables. Ils fréquentaient la même école, s’amusaient dans les rues poussiéreuses, bruyantes et rouges comme les idées de leurs parents. Les années heureuses. Une nuit, tout s’est écroulé : Catherine a pris un taxi pour on ne sait où. On ne l’a jamais revue.

Les années ont passé. Ruben est resté à Yaoundé ; Constance vit à Paris. Ils sont restés en contact et ne cessent de se demander qui était réellement Catherine et pourquoi elle a disparu. Ce roman, parfaitement construit (propos des principaux personnages diffusés à des dates différentes) nous invite à suivre le déroulement d’une manière d’enquête comme celles qui se déploient dans les meilleurs livres de Patrick Modiano. On progresse par petits bonds ; on se retrouve soudain dans une impasse ; alors, on fait demi-tour. Le style et la ponctuation d’Anne-Sophie Stefanini ne doivent rien à ceux, point-point-virgule, de Paul Morand, ou à ceux –point-point- d’Eric Neuhoff. Ses phrases sont souvent rythmées et simplement reliées par des virgules comme si les points eussent pu les diviser, les éloigner, et qu’au final, elles se perdent entre-elles. Un style très personnel qui sert à merveille le propos de ce roman intense, mystérieux et puissamment réussi car reposant sur des faits historiques réels. Malheureusement réels. PHILIPPE LACOCHE

Cette inconnue, Anne-Sophie Stefanini, Gallimard ; 213 p. ; 18 €.

 

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