Laure Charpentier nous donne à lire un roman mélancolique de haute tenue. Très réussi.

Écrivain, Laure Charpentier n’en est pas à son coup d’essai. Elle a derrière elle une œuvre déjà bien fournie composée d’une vingtaine de livres: romans, récits et essais. À cela s’ajoute son talent indéniable de cinéaste puisqu’elle nous a donné à voir, en janvier 2011, le très beau, sulfureux et émouvant film Gigola – issu de son livre éponyme publié d’abord en 1972 chez Pauvert, puis réédité chez Fayard en 2002 – qui, c’est le moins qu’on puisse dire, sortait des sentiers battus de la pensée unique, de la morale étriquée et de la bien pensance.
«Notre regretté confrère Jacques Béal, grand reporter au Courrier picard, trop tôt disparu, un grand ami de Laure»

Parisienne invétérée, elle s’est, au cours de sa vie, souvent promenée en Baie de Somme qu’elle adore; elle a fini par s’installer définitivement au Crotoy il y a quelques années. Justement, son dernier roman (récit serait plus juste car, à n’en point douter, ce texte n’est pas tissé que de fiction; il recèle une bonne dose de réalité), intitulé Game Over est sous-titré «Retour en Baie de Somme». Cette dernière est si présente dans l’ouvrage qu’il ne serait pas abusif d’affirmer qu’elle constitue un véritable personnage. La narratrice, elle, se nomme Emma Braun; elle a soixante ans, se dit que «c’est l’heure du bilan», tout en rectifiant aussitôt: «c’est encore très jeune, mais c’est aussi beaucoup trop vieux pour espérer de nouvelles rencontres.» Elle se trompe. Sur la gare de Noyelles-sur-Mer, alors qu’elle attend sa fille Valentine (médecin, comme son père), elle retrouve l’élégant producteur de films Tancrède Waldorp qu’elle avait aperçu, huit ans plus tôt, au festival de cinéma de Hong Kong où elle venait présenter son long-métrage. Ils discutent. Se reverront. Un peu plus tard, c’est sa fille Valentine qui lui réservera une sacrée surprise: son mariage imminent avec Sam, une avocate pleine d’énergie, de puissance et de charmes. Mais ne dévoilons pas tout… Ce beau livre, écrit avec délicatesse, style et panache, est aussi l’occasion de rendre des hommages appuyés à certains personnages de la Baie: notre regretté confrère Jacques Béal, grand reporter au Courrier picard, trop tôt disparu (un grand ami de Laure), les délicieuses Sandra et Sabrina Blacher, du casino de Cayeux-sur-Mer; on n’oubliera pas non le clin d’œil à l’institution du Crotoy: le restaurant Chez Mado. On appréciera – et c’est tout à son honneur – la détestation que l’auteur voue à l’argent («À chaque fois que je verse de l’argent aux banquiers, j’ai l’impression de jeter dans la cage aux lions un morceau de viande qui, hélas, ne suffit pas à les rassasier»), son magnifique et émouvant portrait de Gina, prostituée de Pigalle, ruinée et en fin de vie, et son coup de griffe sur les mœurs néolibérales de certains médecins… libéraux. Emma finira par retourner à sa chère solitude ce qui donne, à ce récit-roman, de délicieux parfums d’une mélancolie acidulée que n’eût pas renié Antoine Blondin ou Henri Calet. Un très beau texte. PHILIPPE LACOCHE
Game Over, Retour en Baie de Somme, Laure Charpentier; Sipayat; 131 p.; 19,50 €.
L’article Une solitude en Baie de Somme est apparu en premier sur Courrier plus.