
Un jour de plus en confinement. Ça commence à faire long: ne plus pouvoir se balader dans la rue sans attestation; se priver d’aller au bistrot; ne plus pouvoir faire une bise à la factrice quand elle nous apporte, les joues fraîches et roses de jeune cycliste surdiplômée, la lettre qu’on attendait depuis trois semaines… Oui, ça devient long. Heureusement, il reste le jardin. Allons-y.
Dans la poche!
Un pas sur la terrasse, puis deux et trois… Personne à l’horizon? Pas de voisin pour vous alpaguer, vous postillonner sur le visage (ça aussi, aujourd’hui, ça nous manque); la route est libre. Un coup d’œil vers le ciel pour avoir confirmation qu’aucune chauve-souris va vous tomber sur le râble et vous refiler ses miasmes. «Mais non, suis-je bête!» constate intérieurement l’homme hésitant. «Ces bestioles-là ne sortent que la nuit.» On descend prudemment les escaliers recouverts d’une mousse verdâtre qu’on s’était promis de nettoyer depuis des lustres, ce que, of course, on n’a jamais fait. Prudence en descendant les escaliers: il ne manquerait plus qu’on se casse la gueule. Fracture du fémur en pleine épidémie de coronavirus, ça ne ferait pas très sérieux. Ça y est; on y est dans notre beau jardin. Il pleut. Une belle averse de mars, drue, franche, droite, grisonnante comme les poils de la moustache de Jacques Perret. Là, on profite. La flotte vous dégouline sur la caboche. Qu’importe: on rêve; on est ailleurs. On admire les primevères. On se dit qu’on en ferait bien un joli bouquet pour sa petite fiancée, pour sa toute petite fiancée. Un tout petit bouquet. Un bouquet de nain. Un bouquet minuscule. Un bouquet de nain de jardin. On rêve qu’on est en train de le lui donner à la petite, à la toute petite fiancée. La scène se passe rue de Boutillerie, à Amiens, dans la maison de la dame. Elle ouvre la porte. On lui donne notre tout petit bouquet coloré, pastel, doux, tout doux comme notre amour. Alors, la dame exulte. Elle pousse des petits cris, puis se met, elle aussi, à rapetisser. Elle devient toute petite, minuscule comme le bouquet de primevères. Il ne reste plus qu’à la prendre délicatement dans votre main et la mettre dans votre poche et de la ramener chez vous, bien au chaud. Surtout, sur votre attestation, n’oubliez pas de motiver votre déplacement et de cocher la case: kidnapping d’une personne minuscule et vulnérable. Ça devrait passer.
PHILIPPE LACOCHE
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