L’ombre rouge, Jean-Pierre Pécau (scénario), Alejandro Gonzalez (dessin). Editions Glénat, 112 pages, 22 euros.
Cette ombre rouge, qui voile tout ce copieux et dense album, c’est celle du stalinisme et de certains de ses protagonistes, de l’avant-Seconde Guerre mondiale au début des années 1980.
En 1982, Jorge Semprun, écrivain à succès mais surtout (ici) ancien militant communiste reçoit une étrange invitation à la Tate Gallery de Londres. Dans ce musée, lieu classique des rendez-vous des espions soviétiques, un homme mystérieux, qui se présente comme un ancien agent en phase terminale d’un cancer lui donne une enveloppe contenant une douzaine de clichés inédits d’une photographe que Semprun connaît bien : Tina Modotti.
Italienne immigrée aux Etats-Unis, gagnée tôt aux idées révolutionnaires, elle va croiser au Mexique Frida Kahlo et Diego Rivera, verra périr son amant cubain sous les balles présumées de tueur du dictateur Battista (mais peut plus sûrement sous ceux des agents de Staline), puis traversera avec son nouvel Amant Vittorio Vidali, la Guerre d’Espagne comme agents du Komintern, avant de décéder à Mexico en 1942, d’une crise cardiaque… Apparemment. Remontant la piste des photos, Semprun, aidé par un ancien camarade de clandestinité va refaire l’itinéraire de Tina Modotti au Mexique, y croisera la trace de Léon Trotsky et découvrira progressivement le rôle de l’étrange camarade Vidali.
En 1993, l’auteur de romans noirs Jean-François Vilar livrait un magnifique livre, entre la chute du mur de Berlin et les trotskistes assassinés sur ordre de Staline dans le Paris d’avant-guerre, Nous cheminons entourés de fantômes aux fronts troués (qui donna lieu au film Disparus en 1998). Ce titre, reprenant une phrase de la femme de Léon Trotsky se retrouve aussi évoquée dans l’Ombre rouge, qui partage avec le roman évoqué plus haut le même balancement entre deux époques, tout comme un certain romantisme tragique, mais du côté des “staliniens”, cette fois, à travers l’évocation de la photographe Tina Modotti – figure assez connue – mais aussi du rôle tenu par le beaucoup plus méconnu Vidali (dont le rôle fut dévoilé notamment par un long article de Libération en 1999).
A travers ce couple, c’est aussi les raisons complexes de l’engagement communiste dans l’entre-deux guerres qui sont interrogées et plutôt bien éclairées. Et l’idée, assez audacieuse, de faire du médiatique Jorge Semprun la figure centrale de cette enquête romanesque en renforce encore le crédit historique même s’il ne peut manquer de troubler dans son mélange entre réalité et fiction. Mais Jean-Pierre Pécau (bien connu pour sa série l’Histoire secrète), historien de formation, a manifestement bien potassés ses sources pour livre une histoire parvenant à relier un portrait intime et sensible d’une jeune femme qui va être brisée par la cause qu’elle va embrasser et les détails méconnus des replis de la grande histoire tragique du communisme au XXe siècle.
Le jeune auteur espagnol Alejandro Gonzalez parvient de son côté à illustrer cette intrigue touffue dans un style réaliste soigné et expressif.
Même si les contours et les raisons de cette enquête resteront un peu… dans l’ombre, cet album à la pagination conséquente – mais sans longueurs – permet d’éclairer de façon intelligente le destin de Tina Modotti. Et il renseigne aussi, de même manière, notamment les dessous de l’assassinat de Trotsky, d’une façon complémentaire, par exemple, aux Amants de Sylvia de Gani Jakupi.
Bref, un sujet pointu – et qui apparaîtra aujourd’hui très secondaire – mais raconté de manière intéressante et entraînante.
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