Il propose deux livres exquis: l’un, de nouvelles; l’autre, de croquis littéraires. Délicieux.

En littérature, la forme brève est, sans conteste, la plus difficile. N’est-ce pas une gageure de prétendre captiver l’attention d’un lecteur en une, trois, dix, vingt pages? Le roman est si confortable; tellement douillet avec ses coussins de digressions, ses édredons de dialogues qui n’en finissent pas. Le roman, c’est la corde à nœuds de la prose; sur l’un d’eux, on peut poser les pieds lorsqu’on est fatigué, ou moins inspiré, et souffler, respirer. La nouvelle n’a pas ce confort. C’est une falaise à pic; elle donne le vertige. Une virgule en trop, une réplique artificielle, un adjectif superficiel, et voilà notre auteur qui se casse la figure. La nouvelle, c’est la corde lisse de la littérature. C’est pourtant celle-ci que François Bott a choisie pour emprisonner notre attention et attacher nos émotions. En bon athlète de l’écriture, il y parvient avec panache.

«Le genre lui va comme un gant de crin car il nettoie la phrase jusqu’à l’os; il pratique l’épure.»
Le genre lui va comme un gant de crin car il nettoie la phrase jusqu’à l’os; il pratique l’épure. C’est un Roger Vailland en plus tendre; un Paul Morand sans le cœur sec. Un amour à Waterloo est un recueil de nouvelles. La première, éponyme, est la plus longue. On y fait la connaissance de René, enseignant en histoire. Au retour d’un colloque sur Napoléon, à New York, il sent la vieillesse l’envahir; il se découvre las, un peu triste. À Paris, il retrouve Marianne, son assistante. Elle aussi est fascinée par l’empereur et les prosateurs qui ont conté ses exploits: Dumas, Bloy, Stendhal et quelques autres. À propos du célèbre petit Corse qui traversa l’Europe à cheval, François Bott écrit: «Quelle douce chose, que le repos!, aurait murmuré Napoléon, avant de rendre l’âme. Pour René, c’était cela sa véritable déchéance. C’était cette immense lassitude et cet éloge du repos.» Cette phrase n’a l’air de rien, mais c’est du grand art; elle dit beaucoup. Elle supporte, à elle seule, le poids de trois mélancolies: celle de Napoléon; celle de René; et certainement celle de l’auteur. Tout Bott est là: subtil, lucide et délicatement désespéré par l’absurdité de la vie. Élégant, toujours. Et puis, cette chute, admirable: «Ils découvraient que la passion était la meilleure façon d’inaugurer l’automne sur les bords de la Tamise. Merci, Napoléon.» Les autres nouvelles sont du même très haut niveau. Admirons les gens qui admirent. François Bott est de ceux-ci quand, dans la nouvelle, «Aimez-vous la Normandie, en hiver?», il prénomme Roberte (comme la Roberte – Boule, la première femme du romancier – dans Les Mauvais coups, de Vailland) l’un de ses personnages.
De Vailland, il en est bien sûr question, dans Il nous est arrivé d’être jeunes, sous-titré Croquis littéraires d’Aragon à Stefan Zweig. En effet, le recueil se termine par un long texte intitulé Saisons et passions de Roger Vailland. Avec les analyses du regretté Jean-Jacques Brochier, on trouve là ce qui a été écrit de plus puissant et de plus juste sur le créateur de Drôle de jeu. À dire vrai, Les Saisons de Roger Vailland, publié en 1969 chez Grasset, constituait le premier opus de François Bott. Il nous en confie aujourd’hui une nouvelle version «Pour moi, récrire ce livre a été une façon de récrire ma jeunesse. Moi aussi, j’ai passé mon adolescence à Reims. Roger était déjà parti, mais j’avais rendez-vous avec lui, depuis très longtemps sans doute.» Imparable. Imparable comme les autres croquis, des meilleurs écrivains – en tout cas ceux qu’on vénère: Antoine Blondin, Henri Calet, François de Cornière (quelle délicatesse, cette phrase: «(…)l’ombre de la femme aimée, de l’épouse disparue»), Michel Déon, Joseph Delteil, Jean Freustié, Remy de Gourmont, Raymond Radiguet, Georges Simenon, etc. Ces deux ouvrages sont deux livres de plaisir, comme on l’eût dit d’un vin de soif. PHILIPPE LACOCHE
Un amour à Waterloo, François Bott; La Table ronde; 115 p.; 14 €.
Il nous est arrivé d’être jeunes, François Bott; La Table ronde; coll. La Petite vermillon; 263 p.; 8,10 €.
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