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Debout, les damnés de la terre !

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      Un soir à la télévision, sur France 3, le talentueux André Manoukian a invité le tout aussi talentueux Bernard Lavilliers dans le cadre de son émission La Vie secrète des chansons. Lavilliers, je le connais depuis mes années Best, c’est-à-dire au milieu des années 1970. (Non, tu n’étais pas encore née, lectrice-lolita à petites socquettes blanches.) Pour être tout à fait honnête, à cette époque très rock’n’roll (avènement du punk à Paris: 1977; j’en ai parlé avec Patrick Eudeline dans ces mêmes colonnes, il y a peu), ils étaient peu nombreux, les critiques de rock, à s’intéresser à la chanson française. Même lorsque celle-ci flirtait étroitement avec les riffs qui nous préoccupaient. A la faveur de la rubrique Rock d’Ici, que j’animais en compagnie de la regrettée Brenda Jackson, du sympathique Alain Pons et de l’intrépide Michel Embareck, je parcourais la France à la recherche de pépites dans les cours rapides des rivières provinciales. Christian Lebrun, mon admiré et respecté rédacteur en chef, devait penser que j’avais l’esprit en tamis. Il ne devait pas avoir tort: les femmes qui ont peuplé ma vie, m’ont souvent fait remarquer que j’avais le cerveau rempli de petits trous. Je suis une sorte de poinçonneur des lilas picard. Ainsi, lors d’un reportage sur le rock à Nancy, je fis la connaissance de Charlélie Couture, qu’Yves Montand, à l’époque de Solidarnošc (lui, l’ancien docker, lui l’ancien communiste, se pointait à la télévision la poitrine bardée de badges pro-Walesa, et tenait des propos plus anticommunistes que ceux d’un socialiste néolibéral) persisait à appeler Charly Lacouture. Couture venait de se faire signer par Island; à ses côtés, l’un des meilleurs guitaristes français: Alice Botté. Si rock; si littéraire. Un très grand artiste, cet Alice. Le Bernard, je ne fis pas sa connaissance en reportage, mais grâce à Blaise Cendrars. Au cours d’une chronique que j’avais consacrée à l’un de ses albums, j’avais fait remarquer que ses textes, son allure et son sens de la bourlingue me faisaient penser au créateur de La main coupée. Bernard me téléphona aussitôt pour me faire savoir que Cendrars était justement son poète préféré et qu’il venait d’acheter, hors de prix, l’un de ses tapuscrits originaux au cours d’une vente aux enchères. Notre amitié, ainsi, se scella. Un peu plus tard, j’assistais à l’un de ses concerts, à Lyon, en compagnie du nightclubber Alain Pacadis, de Libération, avec qui, au cours du voyage dans le train, nous parlâmes de machines à laver. (Allez savoir pourquoi?) Une autre fois encore, je l’interviewai en banlieue parisienne où il répétait avec son groupe qui comprenait, comme choriste, Valérie Btesh, la soeur de Richard Anthony que j’avais connue au Golf Drouot quand elle jouait encore avec le groupe de folk Tangerine. Nanard me confia ce jour-là qu’il ne comprenait pas pourquoi Libération persistait à le bouder, lui l’authentique homme de gauche (la vraie, celle du peuple) alors que Bayon tartinait des pages entières sur Johnny Hallyday qui, ce n’est pas faire injure à sa mémoire, n’avait rien d’un gauchiste. J’étais content, l’autre soir, de voir Bernard à la télévision. Soudain, il s’est mis à parler de son père, syndicaliste à la manufacture d’armes de Saint-Etienne, ancien résistant. Les larmes lui sont montées aux yeux. Je me suis mis à penser au mien, de père. Cheminot; ternois. Je me suis levé brusquement et j’ai allumé une clope; et je me suis dit que le Nanard et moi, on partageait les mêmes valeurs. N’en déplaise aux bobos sociétaux et aux macronistes modernes, la lutte des classes, ça existe encore. Il arrive même qu’elle nous fiche les larmes aux yeux.

Dimanche 17 mai 2020.

 

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