
Déconfiné? Certainement. Quoique. En compagnie de la petite fiancée, j’ai passé une semaine de vacances au Crotoy. Tentative de jardinage. Beaucoup de paresse surtout; beaucoup de lecture aussi. Aucune tentative d’écriture. Ma première nuit fut terrible, peuplée d’horribles cauchemars. Ma petite fiancée me dit que c’est à cause de l’air iodé; je veux bien la croire. Je n’ai jamais eu l’intention de contrarier les filles. L’iode me taperait-il sur les neurones? Cette nuit, dans le désordre, je me suis bagarré contre une saleté de mâle dominant; j’ai prononcé un discours délirant à une tribune devant un auditoire constitué de plusieurs milliers de personnes qui me huaient, effectué de l’escalade sur un balcon situé au quinzième étage d’un immeuble dont la rambarde diminuait au fur et à mesure que j’avançais et pas moyen de faire demi-tour. Paralysie totale. C’était horrible.




Il y avait aussi beaucoup d’animaux plus ou moins bossus, et des quantités de poissons (chevesnes, brochets et vandoises; pour ces dernières, j’ai cru détecter la raison: peu de temps auparavant, j’avais relu avec beaucoup de plaisir un article de Christophe Hennequin, dit Totof, collaborateur des pages Saisons). Faut-il préciser que les songes halieutiques, depuis des lustres, peuplent mes nuits dès que je manque de temps et de pêche. L’eau est pour moi une drogue; mes proches me disent souvent que je devrais en boire plus, en dehors de celle avec laquelle j’arrose mon pastis. Au cours de ma bagarre nocturne, je me suis mis à hurler si fort que ma petite fiancée, effrayée, a choisi de me réveiller pour m’apaiser; elle m’a aussi confié que j’avais fichu une trouille bleue à Papillotte, dite Patricia, sa chatte, qui a filé dans la nuit noire qui tapissait le jardin. Le dimanche soir, nous avons rangé les vacances dans des valises en carton comme chantait la délicieuse et adorable Brigitte Bardot (que certains conspuent car elle vit avec un âne et qu’elle ne se prive pas de faire la promotion de la droite musclée; moi, je m’en fiche car son bikini en vichy des années 1960 m’a tellement fait rêver que je lui pardonne tout). Je déteste les changements en général et les départs en particulier; je voudrais que tout reste en état, que rien ne change. J’adore le passé; je supporte le présent; je me méfie du futur presque autant que du coronavirus. Je persiste à penser que c’était mieux avant. Je suis un réactionnaire définitif qui adore Marx et une large partie de la littérature droite ce qui déstabilise mes amis et me vaut quelques inimitiés bien senties. Cela ne m’empêche pas de faire des cauchemars. Après avoir attrapé Papillote et rangé dans sa boîte à chat, nous sommes montés à bord de ma Dacia Sandero. «Et si nous allions voir la mer une dernière fois?», a miaulé ma petite fiancée depuis sa boîte, tandis que Papillote, à ma droite, acquiesçait. (L’iode ne me vaut rien; je mélange tout.) Le Crotoy était vide comme un bulot après le réveillon. Pas un chat en dehors de Papillote. Personne non plus, sur la jetée caressée par un coucher de soleil qui avait la couleur des filaments de sang qu’on trouve dans les œufs fécondés. Il y avait dans l’air comme un parfum de hors saison. On se serait cru au cœur de Villa triste, de Patrick Modiano.
Dimanche 31 mai 2020.
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