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L’humilité sociale d’Eugène Dabit

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     Né à Mers-les-Bains, mort en URSS en 1936, Eugène Dabit est l’exquis écrivain des vies des sans-grades. Il faut le lire ou le relire.

Eugène Dabit est né à Mers-les-Bains, dans la Somme. (Photo : site du Prix Populiste-Eugène-Dabit).
Eugène Dabit était aussi un excellent peintre; ici, son autoportrait.
La plaque en son honneur sur la face de la boulangerie Goizet, à Mers-les-Bains. (Photo : Wikipédia.)

    Hôtel du Nord, le film de Marcel Carné, de 1938, tout le monde connaît. Ce n’est que justice: il s’agit d’une œuvre majeure dont, jamais, on ne se lasse. Mais sait-on que derrière ce long-métrage se cache l’un de nos plus grands écrivains: Eugène Dabit? Rien n’est moins sûr. Oublié, Eugène Dabit? C’est peu que de le dire. Un exemple: lorsqu’on demande aux éditions Gallimard l’une de ses photographies, la photothèque maison est bien ennuyée: elle n’en possède pas; en tout cas, aucune libre de droits. (C’est ce qui explique la médiocre qualité de celle que nous vous proposons ici, extraite du remarquable site du tout aussi remarquable Prix Populiste-Eugène-Dabit.) Oublié, longtemps, il le fut même dans sa ville de naissance: Mers-les-Bains où ses parents, prolétaires parisiens, voulurent qu’il naquît (le 21 septembre 1898) souhaitant pour leur chérubin une mise au monde en bord de mer. Pourquoi à Mers? Parce que le couple (lui, cocher livreur; elle, femme de ménage) avait l’habitude de séjourner dans un petit appartement au-dessus de la boulangerie Goizet, rue Jules-Barni.Il fallut qu’un jeune journaliste d’Abbeville, passionné de littérature, rappelât, avec force et vigueur dans trois ou quatre articles bien sentis, que la station de Picardie maritime recelait parmi ses enfants l’un des écrivains les plus pertinents de la langue française, et que le regretté Jean-François Danquin, titulaire d’un doux et ferme entregent auprès de l’intelligentsia culturelle picarde, secouât de cocotier des décideurs, pour que la municipalité d’alors apposât une plaque, vers la fin des années 1980, une très belle plaque (avec photographie), sur la façade de la boulangerie.

«Son écriture, à la fois douce, mélancolique, pudique, toute en émotion et en poésie.»

Aujourd’hui, les éditions Folio et les membres du Prix Populiste (le romancier en fut le premier lauréat) font tout pour qu’on reconnaisse l’immense talent de Dabit. Et surtout, qu’on le lise. Ou qu’on le relise. Le présent petit livre, Fauteuils réservés, contenant des textes extraits du recueil Le Mal de vivre et autres textes (L’Imaginaire-Gallimard), est la preuve concrète de cette nécessité impérieuse. Comme l’expliquait André Gide dans l’hommage qu’il lui rendit à la radiodiffusion française, Dabit était la modestie incarnée. Cela se ressent dans son écriture, à la fois douce, mélancolique, pudique, toute en émotion et en poésie. À l’instar d’Henri Calet, d’Emmanuel Bove et de Pierre Mac Orlan, les grands de ce monde ne l’intéressent guère; il pose son regard sur les minuscules, les sans-grades, les exclus; ceux qui, aujourd’hui, seraient les Gilets jaunes.

Ce peuple qui se lève tôt, qui travaille dur; ce peuple dont trop d’intellectuels dits de Gôche (la fausse gauche salonarde, molle du genou et anti-marxiste) se moquent avec morgue. Dabit ne mange pas de ce pain (noir!)-là. Dans la nouvelle «Troisième classe», il décrit la passagère d’un train qui traverse le Berry; c’est une veuve éplorée, meurtrie par la mort de son mari qu’elle adorait. C’est simple et beau comme le soleil de midi sur Vierzon. «Nuit» évoque les pérégrinations d’un homme seul à Paris.

Il finit par rencontrer une prostituée occasionnelle, brisée par le chômage.

Avec elle, il passe une nuit d’amour’; d’amour vrai. Les putains, ne sont pas toujours celles qu’on croit. Elles se trouvent parfois plus dans les conseils d’administration des sociétés capitalistes obèses que sur les trottoirs. Toujours, derrière les croquis à la pointe sèche, est tapi un puissant regard social, discrètement compatissant, totalement bienveillant. C’est aussi pour cela qu’il faut lire Eugène Dabit.

PHILIPPE LACOCHE

Fauteuil réservés et autres contes, Eugène Dabit ; Folio ; 86 p. ;

2 €.

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