Le marquis des Dessous chics nous révèle ce que contiennent les mares des villes et villages.


Un rêve d’enfant? Un rêve de pêcheur? Les deux, mon général. À la cité Roosevelt, dans les années 1960, à Tergnier (Aisne), il n’existait pour nous, enfants, adolescents, que trois loisirs: le football, courir les filles et pêcher. Pas n’importe où: dans les pattes d’oie du canal de Saint-Quentin, beau bras liquide, chargé d’eau céladon, de péniches belges et bataves (avant!) et d’histoire (s). Autant dire que, lorsque je ne suis pas en train de penser à la littérature ou au rock’n’roll, je pense à la pêche. Depuis des années, les mares des villes et des villages me font rêver. Autre raison: ma mère avait été élevée par sa grand-mère dans le petit village de Silly-le-Long (Oise). Jusqu’au cœur des sixties, existait, au cœur de cette commune, une belle mare, large, profonde qui servait à la fois d’exutoire aux eaux pluviales et à abreuver les bêtes. Cette mare recelait des histoires. Un petit Polonais s’y était noyé: au cours d’un hiver rigoureux d’avant-guerre, il avait fait du patin sur la glace. Elle s’était rompue; vous imaginez la suite… Une mare, c’est aussi ça: des histoires gaies ou tristes; des légendes; des amours évaporées sur ses rives incertaines et englouties dans la nuit des temps. Certaines, dit-on, recèlent en leurs tréfonds des poissons monstrueux.
«C’est mon côté Bacon, la beauté dans l’horreur.»
L’idée m’est donc venue d’aller y pêcher, dans ces mares, et de me faire accompagner par Raphaël Trombet, 29 ans, d’origine savoyarde, demeurant à Amiens, chargé de mission biodiversité faune au Centre permanent d’initiative à l’environnement CPIE). Paresseux de nature, j’ai donc décidé de commencer par deux mares (séparées de quelques mètres), situées en face du magasin Super U, juste derrière la petite station essence, rue Edouard-Lucas, à Amiens, à deux pas de chez moi. Lorsque je me suis renseigné auprès de mon bon copain Michel Collet, directeur de la communication d’Amiens-Métropole, il a éclaté de rire: «Mais qu’est-ce que tu vas pêcher là-dedans, marquis? Ce sont des bassins de rétention du parc de la Licorne!» Il n’avait pas tort: deux mares derrière une station-service et en bord de route, la flotte doit être dégoulinante d’hydrocarbures. Il y a plus glamour et plus bucolique comme partie de pêche. Mais bon: c’est mon côté Bacon, la beauté dans l’horreur; l’art écorché vif. Je me suis donc raccroché à l’Histoire. Archiviste de la Ville d’Amiens, Manon Fauchaux, m’a confié que dans tout le secteur (faubourg de Hem, Renancourt, etc.), les marais étaient nombreux. Mercredi dernier, équipé d’une canne à moulinet et d’une boîte de vers de terreau, j’ai donc retrouvé Raphaël sur les rives des fameuses mares. Lui, était équipé d’une épuisette (ou troubleau): «Mon but est de ramener diverses espèces sans racler le fond.» Ce qu’il a fait. Et, contrairement à moi, sa pêche était, selon ses dires, très fructueuse. Qu’on en juge. En matière de faune: il a constaté la présence de grenouille verte (adulte entendu, et têtards vus), d’alevins de perches franches (a priori; moi, je pense que ça pourrait être des épinoches), d’hydromètres, de notonectes, de corises (punaises aquatiques), de planorbes et de sangsues (mollusques). En ce qui concerne la flore: il a repéré la présence de Rubus caesius, d’Hypericum perforatum, de Typha latifolia, de Convolvulus arvensis, d’Artemisia vulgaris, de Cornus sanguinea et de Lythrum salicaria. Ouf! En tout cas, il était content comme tout, Raphaël. Un milieu naturel très intéressant, selon lui. (C’est mon copain Michel Collet qui ne va pas en revenir.) En revanche, ma canne est restée au chômage: deux touches minuscules. Aucun poisson dans ma goujonnière.Qu’importe: j’étais bien sous la pluie, à rêvasser en matant mon bouchon. Je me demandais comment il s’appelait, le petit Polonais, mort dans les eaux glacées de la mare de Silly-le-Long à la fin des années 1930. PHILIPPE LACOCHE

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