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Mangez-le si vous voulez, le cauchemar vrai d’Hautefaye

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 Mangez-le si vous voulez, Gelli, d’après le roman de Jean Teulé. Editions Delcourt, 165 pages, 18,95 euros.

C’est un vrai cauchemar éveillé que décrit ce roman graphique. Et d’autant plus qu’il s’agit d’un fait divers authentique, qui s’est déroulé dans un village de Dordogne, en août 1870.
Sur le point de s’engager dans la guerre contre la Prusse – que la France est en train de perdre – un jeune aristocrate, Alain de Monéys, aimable et apprécié de tous, se rend à la foire d’Hautefaye, le chef-lieu voisin.
Intervenant pour apaiser une querelle, alors que les villageois sont échauffés par l’annonce de la défaite de Reischoffen, Monéys a la maladresse de lancer, dans l’esprit de le démentir, “A bas la France”. Prise au premier degré, déformée, amplifiée, la phrase fait alors du jeune noble un “défenseur des Prussiens”. De plus en plus vindicative, la foule va se jeter sur lui, le battre, le pourchasser. Monéys ne pouvant compter que sur l’aide – insuffisante – de deux amis, sans que le curé ni le maire n’arrêtent le massacre.
C’est ce dernier, pour s’en laver les mains, qui lâchera la phrase choisie comme titre de l’album: “Mangez-le si vous voulez“… Une incitation qui va être, elle aussi, prise au premier degré. Allant d’aller crescendo dans les sévices, les bourreaux fanatisés plantent des fers à cheval aux aux pieds de leur victime, commencent à l’écarteler, jusqu’à demander à un enfant de l’enflammer sur un bûcher… et de déguster la graisse de son corps sur des tartines de pain ou grignotant ses “bonbons de baptême”.
Il ne faut pas le cacher, il s’agit là d’un album éprouvant, détaillant étape par étape le calvaire vécu par ce pauvre Alain de Monéys. Si Jean Teulé à souvent le talent pour ressortir les anecdotes ou personnages oubliés de notre histoire et qu’il avait déjà évoqué une sorte de transe et d’hystérie collective dans Entrez dans la danse, voilà deux ans (adapté également en bande dessinée par Richard Guérineau), il évoque ici une folie collective bien plus sanguinaire et sombre. Et il a livré là sans doute son roman le plus noir.
L’adaptation qu’en fait Dominique Gelli, pour son retour à la bande dessinée, est du même niveau. Rien n’est épargné au lecteur, au cours de ce chemin de croix, saisi dans la chronologie directe des faits, étape par étape, au gré de chapitres qui suivent l’itinéraire sanglant. Un phénomène de foule monstrueux et qui conserve une part de mystère, d’incrédulité tant cet épisode apparaît absurde et incompréhensible. Et il le sera, d’ailleurs, une fois la violence retombée, pour ses protagonistes, apparaissant hébétés lors de leur procès.
L’effet est d’autant plus fort et dérangeant que l’histoire est racontée ici avec une sombre beauté troublante. Graphiquement, le dessin fin, à la plume, en noir et blanc, est particulièrement évocateur, surtout qu’il se teinte progressivement du rouge du sang de Monéys.

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