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La belle écriture épurée et poétique de Christian Laborde

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Avec « Tina », son dernier roman, il aborde le douloureux et grave sujet de l’épuration et des femmes tondues.

Un roman de Christian La borde est toujours attendu avec impatience. Car ses lecteurs savent bien que, jamais, il ne laissera insensible. Christian Laborde, poète avant tout, musicien des mots, est toujours là où on ne l’attend pas. Là, avec les amours torrides entre un professeur et l’une de ses jeunes élèves ; ici, défenseur de Lance Armstrong ; un peu plus loin biographe de Renaud ; et, toujours, ami et laudateur (à juste titre) de l’immense Claude

Christian Laborde photographié à Deauville, il y a quelques années.

Nougaro ; puis au côté du champion cycliste Robic… Insaisissable Christian…

Son personnage, Léontine, dite Tine, dite Tina, est ici ciselée avec une infinie précision. Sa rousse chevelure (qui est peut-être en sursis), nous est décrite par le menu ; ses relations avec le glacial et assez répugnant lieutenant allemand Karl Shäfer, également. Ce bon ami d’Outre-Rhin vivait dans une chambre de la maison de la mère de Tina, réquisitionnée par l’envahisseur. Shäfer aime la poésie en général et Verlaine en particulier (c’est incroyable comme les zélés membres de l’armée allemande et les nazis ont aimé nos poètes !). Il parvient à séduire Léontine et à la glisser dans son lit. (L’Allemand sait être envahissant et faire preuve d’autorité.) La pauvre le paiera chèrement et abusivement : des résistants de la dernière heure la poursuivront et voudront réduire à néant sa rutilante et moussue chevelure. Grâce notamment à son ami Gustin (que l’on considère comme l’idiot du village), Tine parviendra à fuir. Elle se sauvera à Toulouse, sera protégée par des religieuses (elle aura une sensuelle histoire d’amour avec l’une d’elles, sœur Céline, travaillera dans une boulangerie-pâtisserie, croisera Viktor, un jeune poète apatride, résistant, et vivra avec lui des folles amours flamboyantes et subreptices. Christian Laborde mène son court roman tambour-battant pour nous donner à lire une manière de long poème en prose.  Du grand art. Vivement conseillé.

Christian Laborde a répondu à nos questions.

Paul Eluard

L’épuration ; les femmes tondues ; les résistants de la dernière heure… Les thèmes contenus dans votre roman sont sombres et douloureux. Comment l’idée de ce livre vous est-elle venue ?

L’idée est venue ainsi : un jour où je mettais un peu d’ordre dans mes livres, dans les piles de livres – je suis un peu….labordélique !-, je  suis tombé  sur Au rendez-vous allemand, le recueil de poèmes de Pau Eluard. Je l’ai ouvert, et j’ai relu le poème qui commence ainsi : « Comprenne qui voudra/Moi mon remords ce fut/La malheureuse qui resta/Sur le pavé/La victime raisonnable/À la robe déchirée »… Eluard évoque une de ces femmes qui ont été tondues à l’Epuration…Et j’ai eu envie de lui donner un visage…Un visage et un prénom : elle s’appelle désormais Tina.

Quelle était votre intention en évoquant ce sujet ?

Je voulais simplement faire vivre une femme, la regarder marcher, danser, et célébrer  sa chevelure,  cette chevelure qui dérange partout l’ordre établi, cette chevelure que l’on voulait  tondre hier et que l’on veut enfermer aujourd’hui dans des cages textiles….

Pourquoi avoir décliné trois prénoms pour une seule et même personne : Léontine (qui se prénomme également Tine et Tina) ?

Léontine est le  prénom qui figure sur sa carte d’identité, le prénom que prononçait  la maîtresse d’école quand elle l’envoyait au tableau. Tine, c’est le diminutif affectueux que lui donne sa famille, notamment sa grand-mère. Et Tina, c’est le prénom que lui fabrique Viktor, qu’elle rencontre à Toulouse où elle s’est cachée pour échapper aux tondeuses de l’Epuration. Elle est à la fois Léontine, Tine, et Tina, insaisissable.

 

Léontine et sœur Céline entretiennent une relation amoureuse. Ce passage est magnifiquement relaté par vos soins. Attachez-vous une valeur symbolique à cet amour et, si oui, laquelle ?

Non, c’est juste un amour, c’est-à-dire quelque chose de pur et de subversif.

Comment définiriez-vous votre personnage Viktor ?

Viktor est, pour le régime de Vichy, un « apatride », et pour Tina, un amant et un poète. Un poète qui célèbre la beauté de Tina, la beauté des ponts de Toulouse, la beauté de la lune au-dessus des ponts de Toulouse. Et, c’est aussi pour le lecteur, un jeune résistant…

Et Augustin, dit Gustin?

Il ne parle pas, Gustin, on pourrait le prendre pour l’idiot du village. Et peut-être l’est-il… Il est surtout un être plein de sensibilité, et l’ange-gardien de Tina. Quand on vient arrêter Tina, il sort la fourche…Et il lui permet de s’enfuir.

Votre court et très beau roman a souvent l’allure d’un long poème en prose. Etait-ce votre intention?

Mes romans seront toujours courts, brefs, car je ne perds jamais de vue la phrase d’André Breton : «  Je veux qu’on se taise quand on cesse de ressentir. »  Poème en prose oui, car tout est célébration : célébration de la femme, de la fuite, de la nuit, de l’amour. Poésie, car je privilégie la musique, je  me soucie du son, du tempo. Comme dirait Nougaro, je suis un motsicien.

                                                Propos recueillis par PHILIPPE LACOCHE

Tina, Christian Laborde, éd. du Rocher ; 122 p. ; 14,90 €.

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