Lost children, tome 1, Tomomi Sumiyama (scénario et dessin). Editions Ki-oon, 192 pages, 7,90 euros.
Constitué de sept provinces fédérées, le royaume de Shardao est régi par un sévère système de castes. Un système inique contre lequel un groupe de rebelles Gathiyas lutte farouchement.
Parmi eux, Ran, spécialiste des armes blanches. Sans pitié contre les forces loyalistes qu’il abhorre, le jeune homme est à deux doigts de perdre la vie lorsqu’il participe à la libération d’un village Gathiya. Paralysé devant une fillette armée, il voit ses fantômes du passé resurgir et ne doit la vie qu’à l’intervention de sa camarade Ambika. Car, le cœur lourd, Ran ne se bat pas uniquement pour faire tomber le système, il est aussi à la recherche de son ami d’enfance Yuri avec ils ont tant de souvenirs en commun.
Loin des combats qui rythment le quotidien de Ran, Yuri mène de son côté une vie de recueillement dans un village sacré caché en pleine jungle. Considéré comme un guérisseur, lui aussi est confronté à la violence des hommes qui s’entre-déchirent dans des luttes de pouvoir. Plongé dans un flot événements tragiques, les deux amis ne parviennent à garder leur humanité que grâce au souvenir de leur rencontre. Et à l’espoir de se retrouver un jour…
Première publication de Tomomi Sumiyama (Ki-oon s’attache à promouvoir un maximum de jeunes auteurs japonais encore méconnus dans sa collection Création originale), Lost Children est un manga qui aborde des thèmes graves et tendres à la fois.
Graves car l’action prend place dans un monde résolument injuste où le destin de chaque habitant est dicté, dès sa naissance, par un système de castes. Si la mangaka a emprunté des éléments à bon nombre de cultures et de pays asiatiques (Népal, Tibet, Vietnam, Bouthan…), elle s’est surtout inspirée de l’Inde. Son tour de force est d’avoir réussi à construire dans ce seinen une société (le royaume de Shardao) à part entière, avec ses codes, ses croyances et… ses inégalités à l’image de ce que vivent les Gathiya, membres de la plus basse caste.
Considérés comme des citoyens de seconde zone, ils sont privés de nombreux droits : pas d’accès à l’éducation, interdiction d’exercer la profession qu’ils souhaitent, de se marier avec qui ils veulent ou d’ériger des lieux de culte. On ne peut s’empêcher de penser à la Birmanie actuelle où les Rohingyas sont discriminés dans l’indifférence quasi générale, mais aussi à d’autres minorités ethniques étouffées telles les Ouïghours en Chine. Les luttes armées décrites rappellent, elles, les rébellions maoïstes qui ont touché le Népal.
Fasciné par les religions, Sumiyama s’est également appliqué à décrire de curieuses pratiques dans la partie consacré à Yuri le guérisseur qui masque son visage en toutes circonstances (un peu à la manière d’un niqab). Il faut bien admettre que c’est réussi à l’image de cette cérémonie de la danse des sabres par Harui, amie de Yuri.
Conçu en trois parties (Ran, Yuri et les Origines), Lost Children est aussi une histoire d’amitié entre deux jeunes hommes, à la recherche de leur innocence perdue. Dans la même veine, le manga rappelle Fleur de pierre, cette magnifique œuvre du regretté Hisashi Sakagushi, qui se déroulait dans les Balkans durant la Seconde Guerre mondiale.
Sur le plan graphique, le manga fonctionne bien. Les paysages dépeints, troublants de réalisme, renvoient à l’Inde britannique ou au Népal avec des habitations qui s’enfoncent petit à petit dans la montagne. C’est le cas aussi pour les tenues traditionnelles ou encore la nourriture. Un travail soigné. Le tome 2 est programmé pour août.
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