La tragédie brune, Thomas Cadène (scénario), Christophe Gaultier (dessin). Editions Les Arènes, 130 pages, 20 euros.
Ancien combattant de 14-18, cousin du futur maréchal Leclerc, Xavier de Hauteclocque est journaliste à l’hebdomadaire Gringoire, à l’automne 1933, lorsqu’il est envoyé en Allemagne pour raconter, en toute liberté, « ce que les autres journaux ne racontent pas ». Bon connaisseur du pays, où il a déjà signé plusieurs reportage depuis le début des années 30, il découvre, stupéfait, l’évolution du pays de Goethe en passe de devenir celui d’Hitler: les mendiants raflés dans les rues, les prostituées envoyées en rééducation à la campagne, la violence brutale des « chemises brunes » nazies dans les rues, la montée du bellicisme et l’antisémitisme qui ne se cachent plus. Grace à ces contacts, il parvient même à voir le camp de Dachau, où sont déjà enfermés les socialistes, les communistes, les prêtres catholiques réfractaires à l’ordre nouveau et tous ceux qui ne partagent pas l’enthousiasme pour la nouvelle Allemagne.
De cette plongée dans un régime totalitaire en train de pleinement s’affirmer, Hauteclocque va faire un livre, en 1934, La Tragédie brune. Un an après, suite à un nouveau reportage en Allemagne, le journaliste meurt, manifestement empoisonné par les nazis.
C’est ce récit prémonitoire, réédité, en version numérique par Les Arènes que Thomas Cadène et Christophe Gaultier ont adapté en bande dessinée. Dans un style semi-réaliste et une ligne claire un peu assombrie par le propos. Mettant en scène le journaliste, l’album reprend assez fidèlement la narration et la structure du livre (dont la première partie est aussi republié en annexe). Tout l’intérêt est de découvrir, en même temps qu’Hauteclocque la transformation progressive de l’Allemagne. Sans approche idéologique surplombante, mais avec la force du reportage et de l’accumulation de « petits faits ». Avec ce digne héritier d’Albert Londres, c’est un bel hommage qui est rendu au travail journalistique. C’est aussi une effrayante immersion dans un régime totalitaire en train de naître qui est proposée. Une naissance d’autant plus effrayante qu’elle se construit progressivement et que le dessin, par sa simplicité, permet d’en saisir toute l’implacable logique.
Si l’Histoire ne se répète pas, il n’est pas inutile de la connaître, à l’heure ou les nationalismes se font de nouveau entendre de plus en plus fort un peu partout en Europe. Cette initiative des Arènes permet d’y contribuer.
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