Alt-Life, Thomas Cadène (scénario), Joseph Falzon (dessin). Editions Le Lombard, 184 pages, 19,99 euros.
Dans un futur plus ou moins proche, la vie sur Terre s’est considérablement dégradé, contraignant chaque humain à vivre dans une bulle stérile. En revanche, les technologies de réalité virtuelle ont largement progressé, chacun vivant à moitié dans le monde réel et à moitié dans des univers numériques. Il s’agit désormais d’aller vers la prochaine étape et un basculement dans une existence 100% virtuelle, l’Alt-life.
Josiane et René sont les deux premiers cobayes à tenter la chose. Adam et Eve d’une nouvelle humanité, ils prennent place dans des oeufs emplis de récepteurs connectés à leurs corps tandis que leurs avatars peuvent vivre toutes les expériences imaginées par leur cerveau.
Basculés dans cet autre monde, ils ne vont plus connaître ni la faim, ni la soif, ni aucun autre besoins naturels. Libérés de ces contraintes corporelles, ils vont pouvoir assouvir tous leurs désirs – sexuels notamment. Mais si l’expérience est un succès et si la décision est prise, un an plus tard, de transférer progressivement l’humanité dans cet univers virtuel, Josiane et René réagissent très diversement à ce nouvel univers. Si elle se plaît à tester tous ses fantasmes, il touche vite les limites d’une vie qui, privée de toutes sensations véritables, n’en n’est plus tout à fait une…
On aura rarement aussi bien évoqué la réalité virtuelle que dans cet album. De ses atouts, de ses défis et des réflexions métaphysiques qu’elle pose. Du moins si elle atteignait le niveau dépeint dans Alt-Life.
Dans ce succédané de Matrix, en plus épuré et moins dystopique, la bonne idée est de vite évacuer les prouesses technologiques de SF – même si cet aspect revient régulièrement à travers la description du fonctionnement réel des récepteurs – pour mieux suivre l’itinéraire mental de nos deux “cobayes” dans leurs interrogations et la concrétisation de leur imagination. Le lecteur se retrouve ainsi lui vite totalement plongé dans cet univers mouvant et parfois très déstabilisant, auquel le trait de Joseph Falzon, fin et très ligne claire, donne une dimension irréelle des plus réussies.
L’autre bonne idée est d’appréhender la question avec un incontestable réalisme, à travers la focalisation première sur des fantasmes sexuels, puis sur les angoisses et contradictions des personnages. Un aspect très charnel qui restitue justement toute leur condition humaine à ces deux héros et qui crée une vision du futur au réalisme, paradoxalement, très troublant.
Bref, de la très bonne science-fiction intelligente, qui stimule et fait réfléchir.
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