Comme huit millions de Français, j’ai regardé lundi le téléfilm de TF1 sur l’affaire Jacqueline Sauvage, « C’était lui ou moi ». A la différence de cinq cent mille d’entre eux, je ne signerai pas la pétition de Murielle Robin.
Des femmes battues, j’en ai vu et j’en verrai, devant les tribunaux, tout en sachant que celles qui franchissent les portes du commissariat et du Palais de justice, au prix d’un courage immense, ne constituent que la minuscule pointe d’un iceberg de souffrance, qui encaisse les coups en silence. C’est d’ailleurs pourquoi je trouve facile d’estimer, à l’abri de son salon, qu’en 47 ans, Jacqueline Sauvage ou ses filles auraient eu largement le temps de dénoncer Norbert le violent, ou au moins de prendre leurs cliques pour mettre fin aux claques. D’expérience, la peur est le plus irrationnel et le plus puissant des ciments ; elle scelle des barreaux invisibles.
Ce que je reproche au film de la Une, c’est d’avoir épousé jusqu’à la caricature une thèse : celle de Jacqueline Sauvage et, surtout, de ses avocates en appel. Selon elles, la femme meurtrie aurait dû bénéficier d’un acquittement au nom de la « légitime défense différée », hérésie pénale qui voudrait qu’une accumulation de violence vaille à la victime une sorte de licence de tuer.
En France, la légitime défense s’applique aux réponses simultanées et proportionnées. Concrètement : je ne peux pas vous tuer le mercredi parce que vous m’avez menacé d’une carabine le lundi et je n’ai pas le droit de répliquer avec une Kalachnikov à un sauvageon qui me vise avec un lance-pierre. Or, Jacqueline Sauvage a abattu son mari de trois coups de fusil dans le dos, alors qu’il cuvait son whisky sur la terrasse. Elle est coupable d’homicide, aussi sûr qu’elle était victime de son mari.
Sinon, allons au bout du raisonnement. Quarante-sept ans de calvaire donneraient donc le droit – dont l’Etat s’est démuni en 1981 – d’ôter la vie d’autrui. Et trente, et vingt, et dix ? Où place-t-on le curseur ? Et un viol, n’est-ce pas une sorte de meurtre de la personne humaine, une atteinte à perpétuité ? Donc peut-on tuer pour des viols répétés ? Et pour un seul ? Et le meurtre d’un enfant, n’est-ce pas le crime ultime ? La négation d’une vie en devenir, l’anéantissement de l’existence de ses parents, frères et sœur ? Ne pourrait-on pas tuer le tueur ? Ne serait-ce pas légitime ? Allez, j’arrête, on a tous dans notre cerveau un comble de l’horreur qui voudrait qu’un œil vaille un œil, une dent une dent. Mais le droit n’est pas la morale. Il est le règlement intérieur d’une vie en société qui veut chacun délègue, en conscience, à la justice de juger et à l’Etat de punir.
Ce que réclament les supporters de Jacqueline sauvage, c’est ni plus ni moins que le rétablissement de la peine de mort, en pire, puisque la victime serait à la fois juge et bourreau. Dès lors qu’elle aurait convenu de sa culpabilité, il y aurait eu beaucoup à dire pour adoucir la peine de Jacqueline et lui permettre de retrouver sa famille au plus vite. C’est François Hollande, et pas ses avocates, qui le lui permettra. Il bafouera ainsi non pas une machine judiciaire froide mais quinze jurés (dont huit femmes !) qui en leur âme et conscience avaient à deux reprises condamné l’accusée à dix ans de réclusion. Celles que leurs confrères surnomment Tic et Tac l’avaient décidé : « Même si on perd, on aura gagné ». Et tant pis pour leur cliente, symbole inadéquat d’une juste cause. Le problème avec le Croisé, quand il décide d’aller mourir aux portes de Jérusalem, c’est qu’il demande rarement son avis à son cheval…