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Un jeune porc et une buse mûre

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« Brûlant secret », de Stefan Zweig : trahison amoureuse où un enfant sert d’outil. Génial !

Stefan Zweig (1881-1942) était certainement l’un des meilleurs nouvellistes de son époque, si ce n’est le meilleur. Une manière de Maupassant autrichien. Écrivain, biographe, dramaturge et journaliste, c’était aussi un homme attachant, talentueux, sensible et humaniste. Membre de la communauté des intellectuels juifs de Vienne, il fut contraint de quitter son pays quand la porcherie nazie commença à distiller de mauvaises odeurs ; il se réfugia à Londres, puis s’installa au Brésil où, dégoûté par le triomphe du nazisme, il mit fin à ses jours en compagnie de son épouse. Il ne manquait ni de courage, ni de panache. De panache, ses textes n’

Stefan Zweig vers 1912. Un très grand écrivain.

en manquent pas non plus. Exemple : le présent Brûlant secret, extrait du tome I de Romans, nouvelles et récits (Bibliothèque de la Pléiade, éditions Gallimard) que réédite Folio. Un roman ? Point. Une nouvelle ? Pas plus. Un format intermédiaire qu’on nomme novella dans le jargon des écrivains. Un genre qui convient merveilleusement bien à Stefan Zweig qui, une fois encore, donne là le meilleur de lui-même, comme il l’avait fait avec Vingt-quatre heures de la vie d’une femme, sorti en 1927.
Lâche de surcroît
L’histoire de Brûlant secret est à la fois banale et exemplaire. Banale, oui : un jeune aristocrate, « baron de la peu prestigieuse aristocratie autrichienne », arrive dans une station de montagne. Il descend du train, scrute la ville, les gens. Comment déjà à s’ennuyer. Il croise une dame élégante, « une Juive plantureuse d’âge mûr », qu’il trouve tout à son goût. Comme il est titulaire d’une « totale incapacité à la solitude ». Il se met en tête de faire connaissance avec la belle. Le génie de Zweig consiste à rompre la banalité de l’histoire, cette tentative de séduction, en apportant un élément nouveau, un presque outil : un enfant, le fils de la dame mûre, Edgar un garçonnet de 12 ans. Le baron, concupiscent, sans morale aucune, jouisseur puant de fatuité, lâche de surcroît, indigne de l’esprit aristocratique, utilise le fiston pour aller jusqu’à la mère. Il se rapproche du petit être, en fait son ami. « Il est si facile de duper les enfants », songe le butor, le babouin coureur de jupons. La maman ne vaut guère mieux. Une demi-mondaine qui joue à la bourgeoise, impressionnée par le bellâtre aux épaules larges et au ventre mou. Elle tente de résister. Mais ne résiste pas longtemps. Le fiston se rend vite compte qu’il a été utilisé par cette espèce de baron en carton-pâte. Il se met à le détester et à haïr sa mère par la même occasion. Il fera tout pour leur pourrir la vie. Il le fera avec un talent qui cela procure un bien fou au lecteur. Edgar ne cesse de rappeler à sa sournoise de mère l’existence de son mari.
Zweig n’est jamais aussi bon que quand il décrit le parfum peu ragoûtant de la trahison amoureuse, ici la navrante aventure entre un presque jeune porc et une buse énamourée prête à se jeter dans des bras musclés et vulgaires. L’enfant et le mari s’en sortent, au final, grandis. Ça fait du bien.
PHILIPPE LACOCHE
Brûlant secret, Stefan Zweig; Folio; 116 p.; 2 €.

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