La républicaine Danièle Sallenave revient dans son Anjou d’origine, clérical et conservateur. Un pavé savant qui se lit comme un roman.

Un récit de voyage? C’est évident. Mais pas que. Danièle Sallenave mâtine ce pèlerinage dans son pays d’origine, l’Ouest de l’Anjou, d’une sorte de puissant essai. Son but? Savoir ce que représente le fait d’être républicain. En janvier 2017, elle se rend donc en voiture dans cette contrée, ce triangle de terre délimité par les villages de Combrée et de Trélazé, et la ville de Cholet; il correspond en quelque sorte au département du Maine-et-Loire légèrement rétréci par rapport à l’ancienne province d’Anjou. Le choix de ces trois villages n’est pas anodin. Combrée possède en son sein l’Institution libre de Combrée (créée en 1810; fermée en 2005) où étudiaient les collégiens et lycéens de l’aristocratie et de la bourgeoisie. Cholet demeure le symbole des guerres de Vendée comme le rappelle la célèbre chanson de Théodore Botrel «Le mouchoir rouge de Cholet». Quant à Trézalé, capitale de l’ardoise, elle évoque la révolte anarcho-syndicaliste du 26 août 1885 des ardoisiers.
Très attachée à la République
Très attachée à la République, à la fois laïque et mystique – mais habitée d’un mysticisme sans Dieu–, fille d’un instituteur qui exerça notamment à Trélazé (et où il fonda, en 1935, en compagnie de quatre jeunes instituteurs et des ardoisiers, un club de football, L’Églantine – éponyme de l’ouvrage), Danièle Sallenave arrive donc dans «ce triangle fatal», conservateur et clérical, pour mieux comprendre l’éducation républicaine qui lui fut transmise. Au fil des départementales, des chemins vicinaux, des vignes du Savennières, des monuments, des châteaux et des champs de batailles gorgés de sang, elle analyse les luttes entre le catholicisme triomphant au XIXe siècle, et cette République pétrie des idées d’émancipation et de justice sociale. La force de ce beau et grand livre vient du fait que, jamais, elle ne caricature. Ici, aucune trace d’un quelconque manichéisme; elle sonde les reins des impensés qu’ils proviennent de la République ou du conservatisme clérical. L’autre force, c’est son ton, sa construction, son humour parfois. Ce «je», acidulé d’une anecdote (la dégustation d’un excellent Savennières qui réchauffe la solitude d’un soir), qui surgit au détour d’une analyse historique sérieuse et puissante. Un va-et-vient agréable et surprenant entre l’Histoire et un présent imprégné de vie, d’odeurs, de saveurs. De terroir. C’est ce terroir, minuscule bout de la lorgnette, qui, justement, permet à Danièle Sallenave de tutoyer l’Universel et de caresser l’Infini. En d’autres temps et en zone urbaine, des romanciers comme Henri Calet et Emmanuel Bove n’avaient pas procédé autrement. La clé de ce livre au style éclatant et limpide se trouve peut-être page 39, quand elle écrit: «(…) la guerre de Vendée est l’une des obsessions et peut-être la raison cachée de ce livre. Je retourne sans cesse contre moi-même et l’idéal républicain la phrase vengeresse de Barère qui voulait, lui, en finir avec le soulèvement: je ne peux, moi, en finir avec la guerre de Vendée. C’est la pierre d’achoppement sur quoi butent nos idéaux de justice et de fraternité.» Ce pavé, lesté d’idées, se lit comme… un roman car peut-être plus que le vent de l’Histoire, c’est la douce et légère brise de la littérature qui le pousse.
PHILIPPE LACOCHE
L’églantine et le muguet, Danièle Sallenave, Gallimard ; 531 p. 22,50 €. Danièle Sallenave donnera une conférence le samedi 17 novembre, à 15 heures, au salon La Ville aux livres, à Creil.
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