
Scénariste très branché SF, à qui l’on doit la célèbre saga Sillage ou le plus méconnu mais superbe triptyque Zaya, auteur imprégné de culture asiatique, le Reimois Jean-David Morvan a fait partie du collectif des Traces de la Grande Guerre, cet automne, y allant pour sa part d’une évocation romancée de l’explosion de la mine géante d’Ovillers-la-Boisselle dans la Somme. Il poursuit aussi sa série Irena, sur une « juste » polonaise (le tome 4 est prévu pour début 2019) et entreprend un nouvel album autour d’une autre figure de résistante de la Seconde Guerre mondiale (mais pas seulement), Madeleine Riffaux. Rencontré lors du récent salon d’Albert, en octobre, au moment où paraissait l’album consacré à sa ville de Reims. Petit entretien entre deux guerres.
Jean-David Morvan, vous évoquiez, lors d’une table-ronde du salon du livre d’Albert l’intérêt fort que vous portiez à la Première Guerre mondiale. Mais, finalement, c’est un thème peu présent dans votre bibliographie…
J’avais commencé à m’y intéresser et à l’évoquer, en fait, avec la Mandiguerre, chez Delcourt, un truc un peu steampunk avec une transposition de la Première Guerre mondiale dans l’espace, qui jouait sur la propagande de guerre (sauf que c’était des extraterrestres et pas des allemands !). Et puis j’ai eu un autre projet important pour moi sur la Première guerre mondiale, dans le collectif Vies tranchées, sur les soldats fous de 14-18. Cet aspect me touche car il n’y a que très peu de choses sur cet aspect de la Grande Guerre, une petite scène dans La vie et rien d’autre, c’est tout, sur la folie de la Première guerre mondiale.
Il y a eu surtout, pour moi, les deux albums de la série Le Coeur des batailles…
Oui. Cela aurait dû être en fait trois albums ! Et j’aimerai bien le faire un jour, ce troisième tome, que j’ai déjà écrit d’ailleurs. En effet, il y avait dans cette série toute la concrétisation de ma Première Guerre mondiale. J’ai essayé de la raconter différemment, avec une narration un peu particulière. J’aime beaucoup cette série. En plus je trouve que Kordey, qui est capable d’être très « rapide », a vraiment bien dessiné. C’était très soigné, les couleurs de Walter étaient nickel. Le premier album a bien marché. Le problème est que nous étions en concurrence chez le même éditeur avec la série-phare de Kordey, l’Histoire secrète. C’est bête. Mais j’espère toujours publier un troisième album.
Mon idée, c’était de partir de la Première Guerre, où naissait une forme de religion de guerriers et de poursuivre au-delà du conflit. Il y avait donc d’autres épisodes possibles. J’en ai reparlé avec Kordey. Il est d’accord sur le principe pour le dessiner. Pour l’instant, c’est bloqué. Il faut juste trouver le temps… et un contrat avec l’éditeur.
Vous avez retrouvé donc récemment 14-18 avec ce collectif de Traces de la Grande Guerre. Comment en êtes-vous venu à rejoindre ce projet ?
En juin dernier, je suis venu au festival de bande dessinée d’Amiens avec les gens de mon atelier The Tribe, comme Scie-Tronc et Hiroyuki Ooshima. Deux ou trois jours après, Pascal Mériaux (le directeur d’On a marché sur la bulle) m’a rappelé pour me parler du projet Traces et me demander si cela m’intéresserait d’y participer. Et bien sûr, j’ai dit oui.
“J’ai fait simple, on m’a dit “Traces
de la Grande Guerre”, j’ai regardé
ce qu’il restait comme traces physiques”
Et cette idée de récit autour du tour de mine d’Ovillers-la-Boisselle ?
En fait, j’ai fait simple ! On m’a dit « traces de la grande guerre », j’ai regardé ce qu’il restait comme traces physiques. J’ai vu la Boisselle à côté d’Amiens. Cela collait. Et puis le vrai choc et le déclic, ce fut en voyant que les hommes qui étaient là en 1916 venaient des régions des mines anglaises. Le lien devenait évident entre le plus gros accident dans une mine anglaise et la plus grosse explosion de la guerre, provoquée par des mineurs anglais. C’est comme si l’histoire était déjà écrite.
Vous ne connaissiez donc pas le lieu auparavant ?
Non, et le dessinateur non plus. Mais bon, ça va, c’est un trou…
Et la quasi-totalité de l’histoire se déroule dans une galerie sous terre…
oui, tout à fait.
Graphiquement, c’est assez fort…
Richard, Scie-Tronc de son nom d’auteur, est fort. A 23 ans, il fait encore gamin, mais il monte en puissance. Il travaillait chez Mc Do de nuit à Paris. Un pote me l’a présenté et il est venu avec nous à Reims. A Albert, c’était sa première séance de dédicaces, la première fois qu’il travaille sur une fresque. Et nous avons découvert le trou de mine à l’occasion du salon du livre d’Albert.
Qu’en avez vous pensé, de ce Lochnagar Crater d’Ovillers-la-Boisselle ?
Cela me fait toujours quelque chose de me retrouver dans des sites qui évoquent la première guerre. Je trouve qu’il y a vraiment un truc qui nous touche avec 14-18. Ce qui est étonnant, c’est que cette guerre a été oubliée longtemps. Ainsi, en 1992, quand je cherchais de la documentation, il n’y avait pas grand chose d’accessible. Et puis j’ai vu refleurir l’intérêt et les travaux sur 14-18. Aujourd’hui, elle est presque plus présente que la Deuxième Guerre mondiale. Dans notre région, il reste finalement plus de traces de la Première guerre mondiale. Il y a un truc vraiment physique avec conflit qui survit, contrairement à la Seconde Guerre peut-être – sauf si on habite en Normandie sur les plages du débarquement forcément.

Votre prochain projet fait le lien entre les deux guerres. Et il s’agit d’une personnalité Picarde…
Effectivement. C’est sur une dame que j’ai rencontré en 2017, qui s’appelle Madeleine Riffaud. Grande résistante, poétesse, puis journaliste notamment pour l’Humanité, pour qui elle a été correspondante de guerre. Je la vois très souvent depuis l’an dernier. Elle est née dans la Somme, elle a grandi à Folies, dans le Santerre. Là, étant à Albert pour un week-end, je viens d’aller fleurir la tombe de ses parents et je suis allé voir la maison où elle est née, où elle me racontait que son grand-père avait planté des roses, et il y en a toujours !

Et effectivement, c’est vraiment d’une guerre à l’autre. Le père de Madeleine Riffaud a été blessé pendant la Première Guerre mondiale. Il était instituteur, tout comme la mère de Madeleine. Ils ont demandé à la fin de la guerre à être mutés ensemble. Et ils ont été envoyés en « zone rouge », dans le Santerre.
Madeleine m’a raconté qu’elle avait connu la mort lié à 14-18. Elle devait avoir 5 ou 6 ans. Deux de ses copains sont allés jouer dans les bois, elle ne les a pas rejoint. Ils ont explosé en déterrant une grenade. Donc c’est histoire, c’est vraiment le passage d’une guerre à l’autre. Pour elle, ce fut ensuite la Résistance, puis la guerre d’Algérie, la guerre du Vietnam…
Il s’agira d’un “biopic” un peu dans l’esprit d’Irena ?
Oui. Mais avec peut-être moins de flash-back. Avec un récit qui sera donc plus linéaire.
Ce projet est déjà avancé ?
Oui, il est prévu avec Dominique Bertail au dessin. Ce sera chez Dupuis et il est prévu sur plusieurs albums.
“Avec un dessin réaliste, Irena
aurait vraiment été une histoire trop dure,
une vraie double peine pour le lecteur”
Irena, justement au départ devait être un triptyque. Finalement, on annonce la sortie d’un quatrième album pour le début d’année prochaine…
En fait, l’histoire sera en cinq volumes ! Et au tout départ, c’était plutôt prévu en… deux albums. Mais ça on ne l’a jamais dit aux lecteurs ! Mon idée était vraiment de partir sur un diptyque, sauf que lorsque j’ai fini le tome 2, je me suis rendu compte que j’avais encore tellement de choses à raconter sur elle et que j’aimerai vraiment en faire un troisième. Mon éditeur a été partant. Entretemps, nous avons été invités à Varsovie. Là, j’ai encore découvert d’autres informations nouvelles sur elle. Dans ma tête, il fallait donc en faire quatre tomes. Mais David (ndrl: David Evrard, dessinateur de la série) m’a alerté sur le fait qu’au vu de la matière que nous avions, il faudrait sans doute plutôt partir sur cinq albums. J’ai alors écrit l’histoire dans la continuité, avec un chemin de fer scène par scène… Et David avait raison, c’est bien cinq albums qu’il faudra pour raconter tout cela !
Ce qui est fort dans Irena, c’est cette capacité à retranscrire des scènes effroyables avec un dessin très jeunesse, presque enfantin…
Quant j’ai commencé à travailler sur ce projet, c’est la première chose qui m’est apparu. Je me suis tout de suite demandé comment j’allais pouvoir raconter cette histoire. Avec un dessin réaliste, elle aurait vraiment été trop dure, une vraie double peine pour le lecteur. Lorsqu’on raconte de telles scènes horribles, c’est pour toucher le lecteur, bien sûr, mais pas pour le choquer, sinon il va refermer l’album sans poursuivre plus loin. Avec le dessin de David Evrard, qui était mon pote à l’Ecole Saint-Luc voilà vingt ans, je me suis dit qu’il y avait un truc possible. En revanche, je voulais des couleurs plus réalistes que celle de “l’école Dupuis”. J’ai demandé à Walter. Et je pense que nous sommes arrivés à un bon compromis. Et à une histoire qui fonctionne.
Cela fonctionne, et le résultat est assez étonnant. Assez inclassable, en effet.
La série Irena est dans la collection Tchô. Donc, peut être que des lecteurs se disent qu’il ne s’agit que d’une histoire pour les gamins. Mais je ne pense pas. Pour un lecteur habituel de bande dessinée « adultes », il faut oser rentrer dedans, c’est vrai. En revanche, cela fonctionne bien avec les librairies généralistes où je n’ai jamais eu autant de retours de gens qui m’ont dit avoir pleuré, avoir été touché. Avec Irena, je crois qu’on a réussi à intéresser et toucher plein de gens qui ne lisent pas forcément de bande dessinée d’habitude.
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