Malaterre, Pierre-Henry Gomont. Editions Dargaud, 192 pages, 24 euros.
Ici, tout commence par la fin. Dans une atmosphère tropicale, un homme, à “la majesté d’un roi tragique” s’effondre au volant de son 4X4, frappé d’un infarctus. Il se nomme Gabriel Lesaffre et c’est sa vie qui va être dévoilée dans les quelque 200 pages qui vont suivre. Malaterre, racontée en un grand flash-back par son avocat, dernier compagnon de beuverie.
Né dans la bonne bourgeoisie, Gabriel a toujours été un rebelle dans l’âme, rétif à toutes les contraintes. Enfant turbulent, ado révolté, jeune homme brûlant la vie par les deux bouts jusqu’au moment où il tombe amoureux d’une lointaine cousine, Claudia. Il l’épouse, ils ont trois enfants. Mais il se lasse vite de cette vie rangée. Il s’enfuit avant de réapparaître cinq ans plus tard… dans le but de récupérer la garde de ses deux enfants aînés. Par ruse et persuasion, laissant sa femme désemparée et folle de douleur, il parvient à ses fins et embarque Mathilde et Simon en Afrique. C’est là, en pleine forêt équatoriale qu’il entend réaliser son rêve : restaurer la splendeur d’un domaine forestier familial, vendu par son grand-père alors dans la déchè et qu’il a réussi à racheter pour une bouchée de pain Malaterre. Et ce fantasme, tout comme celui de transmettre cette grandeur passée à ses enfants sauve un peu ce personnage, par ailleurs alcoolique, hâbleur, manipulateur, menteur, parfois violent et escroc.
Un titre, et un terme qui résonne, qui s’impose… et un mot qui m’a fait irrésistiblement penser à Malagar, le domaine de François Mauriac. Rien à voir entre l’écrivain et le personnage raconté par Pierre-Henry Gomont, sinon cette présence obsédante, massive, d’une demeure associée immédiatement à son propriétaire. Ici, cette vision grandiose colle et apporte un côté rocambolesque au personnage. Mais à travers Malaterre, c’est aussi la fascination pour l’Afrique et sa liberté qui se transmettent aux deux enfants de Gabriel. Une ambivalence qui sous-entend l’ensemble du récit et cette étrange destinée familiale.
Découpé en courts chapitres, à la fois raconté par des échanges vifs et des récitatifs plus distanciés, Malaterre parvient à brosser le portrait d’un homme complexe, dépassant la caricature ou la charge, pour en faire un personnage attachant sans être sympathique. Un exploit et une finesse dans la retranscription psychologique d’autant plus forts qu’on a cru comprendre qu’il y avait beaucoup de souvenirs autobiographiques dans ce récit.
Cette singularité forte se retrouve également dans le dessin, lâché, plein d’un dynamisme qui font un peu songer au style de Christophe Blain, et une mise en couleurs qui, comme dans Pereira prétend, participe pleinement au climat de l’histoire. Une nouvelle oeuvre puissante et un roman graphique qui ne se lâche plus, une fois embarqué avec le flamboyant Gabriel.
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