Le romancier y parle de son enfance brisée, des poissons, de la nature et de la cruauté d’un père.

Comment ne pas aimer ce livre?
Franck Maubert, l’auteur du bouleversant roman L’eau qui passe (quel joli titre!) y cite cette phrase du remarquable Vladimir Jankélévitch: «Qu’un peuple comme les Allemands soit devenu un peuple de chiens, c’est injurier les chiens car ils n’ont pas inventé les fours crématoires ni pensé à faire des piqûres de phénol dans le cœur des petits enfants.» Imparable.
Il y va d’une phrase comme celle-ci: «Derrière la maison couve le silence.»
Maubert y parle si bien de la pêche et des poissons: non seulement, il reconnaît ces derniers à leurs sauts, mais il se fend de cette observation d’une justesse et d’une poésie que les pêcheurs sauront reconnaître: «On aperçoit le fond sablonneux et des barbillons s’y frotter le ventre.» Puis, à propos des anguilles: «Elles oublieront les saveurs de vase et de boue et, une fois franchis les estuaires, connaîtront la salinité des eaux bleues. Elles défieront toutes les lois de l’attraction, embrasseront des continents nouveaux, étreindront des côtes, elles s’uniront dans les abysses, se mélangeront en pelote dans la frénésie sexuelle, nouées en boule, elles seront innombrables.»
Et, lorsqu’on va vérifier sur Google Maps, que l’adresse du 35, allée Georges-Politzer, escalier E, à Nanterre, existe bien, on se cogne à un immeuble gris, couleur de ciment mouillé comme les imperméables des banlieusards, on se dit que dans ce roman tout sonne vrai. Tout est vrai.
Quel texte, amis lecteurs! Quel beau texte…
«Qu’un peuple comme les Allemands soit devenu un peuple
de chiens, c’est injurier les chiens car ils n’ont pas inventé les fours crématoires ni pensé
à faire des piqûres
de phénol dans le cœur des petits enfants.»
Vladimir Jankélévitch
Maubert nous y parle de son enfance. De sa famille qui n’existe presque plus. Son père, un ancien malfrat très proche de Mesrine, a disparu dans la nature. Sa mère l’a confié à un couple de Polonais: Imina et Abselm. La génitrice, un beau jour, revient le chercher, ou plutôt l’enlève, l’arrache à ces vieilles personnes bonnes et aimantes. Elle l’installe à ses côtés à Nanterre, au 35 de la rue Georges-Politzer, une banlieue couleur de ciment mouillé, etc. Vie banale, tissée d’ennui; les relations entre la mère et le narrateur sont inexistantes. Bien lui en prend: il découvre Paris. S’ouvre au théâtre, à la littérature, à l’art, et rencontre le si lucide Jankélévitch. Il finira par retrouver son père. Lui enverra un mail. Celui-ci l’enverra bouler en l’appelant «Monsieur» et en le priant de lui foutre la paix. C’est à désespérer de la race humaine ou à préférer le saut des ablettes, dans les étangs français caressés par la douceur du soir. Bouleversant. PHILIPPE LACOCHE
L’eau qui passe, Franck Maubert; Gallimard; 137 p.; 13 €.
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