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Solde de tout compte

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Toufik, 39 ans, petit homme rond dont les mains s’agitent, est volontiers théâtral : « S’il y a une chance sur mille pour que ma femme aille mieux parce que je suis en prison, alors envoyez-moi là-bas monsieur le président ! » Mais Toufik ne ment pas quand il sanglote sur son boulot perdu, au point que le président l’encourage : « Le tribunal n’ignore pas le cataclysme que représente la perte d’un emploi, mais ce n’est pas une raison… »
Pas une raison pour, comme le 3 janvier, taper sur sa femme, lui serrer le cou, lui jeter une chaise dans le dos, lui dire qu’elle doit retourner en Algérie en lui laissant les enfants et la menacer : « Je vais te tuer, je vais t’égorger. »
Il allait si mal en cette fin d’année que sa femme et ses enfants s’étaient réfugiés chez le père de Toufik. Le vieil homme a d’ailleurs été bousculé le 3 et c’est lui qui qui a appelé les policiers : « Venez. Mon fils est dépressif, il est dangereux. » Sa femme témoigne : « C’est quelqu’un de bien, un bon père, mais je ne mérite pas les coups et les insultes. On n’en peut plus ! Il va mal, il a besoin de soins . » Régulièrement, elle est enfermée chez elle afin de ne pas risquer de croiser un homme. Elle se fait traiter de « salope », « pute », « sale chienne ». Aux policiers, il a d’ailleurs expliqué qu’il ne lui ferait jamais de mal mais qu’il égorgerait volontiers « celui qui s’occupe de la chatte de ma femme ».
La parano n’est pas loin, on le comprend quand Toufik déroule son histoire : « J’étais contrôleur et délégué syndical CGT aux bus Ametis à Amiens. » Un coup d’œil aux archives du Courrier picard nous apprend qu’il était très actif (version positive) voire un sacré emmerdeur (version patronale). À l’époque, en plus, les élus du personnel se battaient entre eux à Ametis, sur fond de rivalités entre syndicats, voire entre régions du Maghreb. Ça n’a pas fait un pli : « En décembre 2015, deux jours après avoir cessé d’être protégé comme élu, ils m’ont viré, soi-disant pour un arrêt-maladie en retard. » Ce jour-là, Toufik, certainement fragile avant, n’a pas seulement perdu un revenu fixe : sa dignité figurait dans son solde de tout compte. « Tout ce que ma femme dit est vrai, pour elle, pour mes enfants, j’aurais voulu être à la hauteur. » On comprend alors qu’en s’érigeant en petit taliban du foyer, Toufik veut compenser le statut social qu’il a perdu trois ans plus tôt.
La procureure réclame de la prison ferme. Le tribunal n’en voit pas l’utilité. Il prononce huit mois, certes, mais sans mandat de dépôt. Toufik a interdiction de rencontrer sa femme (ça lui fera des vacances ailleurs qu’au bled), de paraître au domicile et obligation de se soigner.

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