Il propose un recueil de chroniques et un hommage numérique à Philippe de Broca. Du lourd.

À propos d’Edmond Rostand, Thomas Morales écrit: «Son Cyrano le précède et l’entoure d’un prestige que l’on a peine à imaginer dans notre société décatie, où un animateur charrie plus de tweets qu’un académicien et où une fille de la télé-réalité, victime et complice de cette banale foire aux vanités, impose son vocabulaire dans les cours de récréation. Jadis, la littérature élevait l’esprit sans corrompre l’âme. Croiser dans les ruelles de Cambo l’auteur de Cyrano provoquait des étourdissements comparables à la vision de la poitrine rebondie d’Anita Ekberg dans la fontaine de Trevi.» Voilà qui est envoyé; voilà qui est écrit. La chronique est un genre difficile, au mitan du journalisme et de la littérature. Dans le passé, elle eut ses maîtres: Henri Calet, Alexandre Vialatte, Antoine Blondin, Bernard Frank. Notre époque, si avare en réels talents, en détient un et un vrai: Thomas Morales. Il faut lire son succulent Tais-toi quand j’écris! Thomas Morales, ce Français définitif (d’origine espagnole), grand spécialiste du cinéma, de l’automobile et de la littérature des fifties et des sixties, y excelle.
Jusqu’au bout
Lorsqu’on s’apprête à lire un recueil de chroniques, on se dit qu’on va picorer, lire dans tous les sens. Là, quand on commence par la première, on va jusqu’au bout. Comme dans un bon roman. Car, Morales n’est pas seulement détenteur d’une plume pleine de panache, de fraîcheur, d’inventivité et d’efficacité à la hussarde, il a aussi du goût. Il nous parle, mine de rien, de la délicieuse Sonia Sieff, du trop méconnu poète Yves Charnet («L’abîme est son âtre.»), du regretté René Goscinny, du carrément génial Gaston Criel (qui parle encore de nos jours de Gaston Criel? Personne depuis que Pierre Drachline a rejoint d’Orient éternel des défricheurs littéraires), de François Chalais (il rappelle au passage, la formule épatante de Chalais à propos de Sophia Loren: «C’est dur d’être discrète quand on a un corps aussi bavard»), de Claude Rich («Quelque chose de vieille France, venant des profondeurs de notre pays, laissant derrière elle une traînée d’impertinence balayant tout sur son passage»), du formidable romancier Maurice Pons (en dehors de Patrick Besson et de Thomas, qui porte encore dans son cœur le sulfureux talent de cette grande plume?), sans oublier Marcel Aymé «(… il appartient à tous les Français. Il est le porte-plume d’un peuple traversé par tant de contradictions et de blessures»), Pierre Charras, Édouard Baer et Jean-Claude Pirotte.
Pas étonnant qu’il ait confié un Duetto (éditions numériques Nouvelles lectures créées par un autre homme de goût: Dominique Guiou, ancien rédacteur en chef du Figaro littéraire) consacré au cinéaste Philippe de Broca. Là encore, on dégustera sa jolie prose avec une gourmandise non feinte. Thomas Morales aime regarder ses films à l’approche des fêtes de Noëlquand «la pluie s’infiltre dans mes pensées éparses à quelques jours du réveillon et des plateaux garnis de belons». «Philippe de Broca casse les codes de la comédie pour y introduire une pincée d’éternité», écrit-il. Et un peu plus loin, il confie que dans ses œuvres, «j’y ai continuellement puisé des moments d’intense communion avec mon pays». C’est ce qu’on pourrait appeler «avoir l’âme française».
PHILIPPE LACOCHE

Tais-toi quand tu écris, Thomas Morales; éd. Pierre Guillaume de Roux; 239 p.; 22 €. Philippe de Broca, Th. Morales; Nouvelles Lectures, coll. Duetto ; www.nouvelleslectures.fr
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