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   Michel Houellebecq se renouvelle

Et son «Sérotonine» est carrément génial. On vous explique pourquoi.

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Michel Houellebecq. Photo : Philippe Matsas.

Il y a trois romanciers, en France, dont on attend toujours les derniers livres avec une brûlante impatience: Patrick Modiano, Yann Moix et Michel Houellebecq. Autre point commun: ils engendrent la discussion, nourrissent le débat. Bref: on les aime ou on les déteste.

«Le talent procure

du plaisir, du désir

et  fait jouir; le génie invite à la réflexion,

à la discussion.»

On leur pardonne tout; ou ils agacent. Au premier, il est reproché, depuis La Place de l’Étoile, d’écrire toujours le même livre. Au deuxième, la vox populi conspue sa liberté de langage et ses engagements jugés provocateurs. Chez le troisième, ce sont sa dépression, sa réaction lucide et ses propos non politiquement corrects qui peuvent révulser. Bref: Modiano, Moix et Houellebecq font autant de bruit dans les couloirs littéraires que leurs prestigieux aînés Céline, Léon Bloy et Jean-Paul Sartre. Comme eux, ils n’ont pas seulement du talent; ils détiennent du génie. Le talent procure du plaisir, du désir et fait jouir; le génie invite à la réflexion, à la discussion. Parfois à la révolte. Toute la différence est là.

Différent

Cette longue introduction pour affirmer haut et fort que Sérotonine, le dernier opus de Michel Houellebecq, est carrément génial. D’abord, au niveau du style, il se paie le luxe d’être différent. Jusqu’ici, le créateur d’Extension du domaine de la lutte nous avait habitué à une écriture terriblement efficace mais relativement blanche. Phrases courtes. Point; point virgule. Peu de relatives. Ici, comme s’il se fut trouvé sous l’effet de la sérotonine, cette molécule du bonheur, il donne dans le presque baroque: longues phrases quasi proustiennes, répétitions voulues dignes d’Eugène Green ou des thèmes musicaux du rock progressif des seventies (Van der Graaf Generator, King Crimson, Backdenkel). Nous sommes loin des tonalités à la Simenon ou à la Bove. Autre nouveauté: l’humour (qu’il a toujours eu) est ici décuplé, tout comme est décuplée la désespérance. Il nous avait habitués au gris; le voici qui trempe sa plume dans le noir soulagien cafardeux et dans le blanc franc hilarant. Seuls ses thèmes de prédilection, ici, ne varient pas. L’histoire qu’il nous contre s’inscrit en grande partie dans la Manche où Michel Thomas (son vrai nom) passa son enfance, élevé par grand-mère, Mme Houellebecq (il reprit son nom de famille pour lui rendre hommage). Il y conte, lui l’ancien étudiant d’Agro (après avoir suivi une prépa scientifique), les souffrances du monde agricole et des agriculteurs «propres», broyés par un capitalisme furieux, putride, indéfendable. Les imbéciles, qui ont vu en Houellebecq un écrivain de droite, se sont mis le doigt dans l’œil. Ses analyses, souvent, frôlent le marxisme. En tout cas, elles dénoncent et bousillent l’infect ultralibéralisme. La colère de son copain agriculteur qui, avec sa bande de vaincus, bloquent l’autoroute A 13 (comme eussent pu le faire nos chers Gilets jaunes) est salvatrice; elle – la colère – est terrible, atroce, brutale, violente, mais elle fait un bien fou. Ce que les Gilets ruraux de Houellebecq bloquent ce n’est pas seulement une autoroute, c’est aussi et surtout un type de société. Oui, ils pensent que le capitalisme ne génère qu’inquiétude, angoisse et incertitude. Oui, pensent-ils (et Michel avec eux): ça suffit! Au chapitre de la nouveauté, il y a aussi cette volonté de mettre en avant l’action commune, et de louer les bienfaits de l’amitié, même si celle-ci, tout comme l’amour (mais à cela il nous avait habitués), conduit au malheur, aux larmes, à la peine. On n’allait tout de même pas demander à Houellebecq de chanter les mélodies du rossignol chauve et moine bouddhiste Matthieu Ricard.

PHILIPPE LACOCHE

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Sérotonine,
Michel Houellebecq; Flammarion; 348 p.; 22 €.

 

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