«Point de lendemain», de Vivan Denon: un texte majeur de la littérature libertine.
Àh! point de moral, je vous en conjure; vous manquez l’objet de votre emploi. Il faut m’amuser, me distraire, et non me prêcher.» On ne le dira jamais assez: les écrivains du XVIIIe siècle ne manquaient ni de style ni de panache. Lire ou relire Dominique Vivant Denon (1747-1825), et particulièrement Point de lendemain – court roman, présenté ici comme conte, modèle de la littérature libertine; première version en 1777; seconde version en 1812) est un régal. On ne s’en lasse pas. Ce texte nous permet de remettre nos pendules de lecteur à l’heure. Contrairement à l’idée qu’on s’en fait au XXIe siècle, la littérature libertine ne fait jamais dans l’outrage, le sexuel à tout prix et surtout jamais dans le vulgaire ou le grivois. Tout est dans le subtil, le style, l’art de la séduction, de la suggestion. On rhabille les amants pour mieux les déshabiller. C’est délicieux.
«J’ai beaucoup joui»
Dominique Vivant Denon était un orfèvre du genre. (Il y en a d’autres, le plus célèbre étant bien sûr Choderlos de Laclos.) Rien, pourtant, ne prédisposait cet homme à évoluer dans ce genre. Administrateur, graveur, écrivain et diplomate, devenu directeur général des musées, il se distingua dans l’organisation du musée du Louvre. Certains voient en lui un précurseur de l’égyptologie, de l’histoire de l’art et de l’égyptologie. Comme il le précisait à Lady Morgan dans La France: «Je n’ai rien étudié, parce que cela m’eût ennuyé. Mais j’ai beaucoup observé, parce que cela m’amusait. Ce qui fait que ma vie a été remplie et que j’ai beaucoup joui.» Tout est ici dans l’emploi du verbe jouir. Jouir, il en est beaucoup question dans Point de lendemain. Mais cela n’est jamais montré, démontré; jamais on ne franchit le seuil de l’alcôve. Tout est dans l’imagination, le sous-entendu. Jamais sournoiserie n’aura été aussi agréable. Que nous raconte-t-il, Vivant Denon dans ce conte? Cela débute à l’Opéra. Un très jeune homme légèrement naïf, ou jouant à l’innocent, rêve pourtant du plaisir extrême. Il est appelé par Mme de T… qui se trouve dans la loge voisine. Il se laisse entraîner par cette dame plus âgée, charmante, mariée, couverte d’amants, et délicieusement expérimentée. Ils s’avancent tous deux dans la nuit. Que cherchent-ils? Cela n’est pas clair et c’est tant mieux. Car tout le jeu, tout l’enjeu est là. Rien n’est explicité. On comprend bien vite qu’ils doivent obéir à un cérémonial joliment orchestré. Dans l’ombre, règne le maître des cérémonies: le mari de la dame mûre. La belle et voluptueuse initiatrice n’a pas son pareil pour tirer les ficelles. Le jeune homme saura-t-il en profiter? Tout se joue dans la saveur infinie de la discrétion: «Ces traces du plaisir m’en rappelaient la jouissance. Enfin elle me parut plus séduisante encore que mon imagination ne se l’était peinte dans nos plus doux moments. Le lambris s’ouvrit de nouveau, et la discrète confidente disparut.» Voilà qui est dit et bien dit. Pas étonnant que les grands stylistes qui suivirent (Stendhal, Vailland, etc.) se fussent inspirés de Vivant Denon et de quelques autres. Les raffinements du XVIIIe siècle nous manquent cruellement en ce monde de brutes qui est le nôtre. PHILIPPE LACOCHE
Point de lendemain, Vivant Denon; Folio; 82 p.; 2 €.
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