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Un casque plat et un merci à Megan et à Kitty

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A Kitty (notre photo) et à Megan, j’avais envie de dire merci. Tout simplement.

     J’aime nos amis alliés; je leur pardonne tout. D’où cela provient-il? De l’enfance, bien sûr. Je me souviens d’une belle matinée d’automne des années 1960 à Tergnier (Aisne). Je devais avoir cinq ou six ans. Je jouais devant chez moi. Le mur, qui soutient aujourd’hui la nouvelle école maternelle Roosevelt (nouvelle? Sa construction doit dater de 1963 ou 1964; j’ai fréquenté l’ancienne qui était à l’aune des autres maisons provisoires de la cité Roosevelt, bâties grâce aux fonds du Plan Marshall: des murs de bitume, des toitures en fibrociment), était en construction. Les maçons de l’entreprise Dugat s’activaient. Une tranchée profonde martyrisait la glaise picarde. Nous aimions nous y cacher. Alors que je me trouvais en compagnie de mes copains Alain Lanzeray et Reynald Nerenoshen, nous trouvâmes un casque plat, rouillé et troué. Nos pères, nos oncles, nos grands frères nous apprîmes qu’il avait été porté par un soldat britannique ou canadien, ou australien. Un allié. Un de ces braves qui étaient venus, au cours de la Grande-Guerre, bouter les hordes teutonnes de nos terres envahies. Un peu plus tard, au pied d’un vieux mur (qui, disait-on, était celui d’une ancienne chocolaterie) de notre même cité, Patrice Mahut, un adolescent bouillonnant, découvrit une grenade à manche. À propos de celle-ci, nos aînés furent formels: «C’est une grenade boche!», firent-ils, un peu effrayés, en tout cas rebutés. Nous en déduisîmes, dans nos petites caboches de gamins ternois des Trente glorieuses, que notre territoire minuscule avait été le théâtre d’affrontements violents. Le soir, avant de m’endormir, j’imaginais que le soldat boche avait balancé sa grenade sur le casque du combattant anglais. Et qu’il avait été lui-même liquidé par l’un des nôtres. Nos bons amis d’outre-Rhin, avant de partir, en 1917, dynamitèrent la ville entière, ne laissant que trois maisons de maître dans le but d’y loger les officiers car ils comptaient bien revenir nous visiter. Ils revinrent effectivement, dès juin 1940. La brutalité prussienne avait été remplacée par la barbarie nazie. L’horreur. Les résistants ternois, cheminots et francs-tireurs, ne se laissèrent pas faire; ils le payèrent très cher. Des gamins de dix-huit ans massacrés comme des lapins. On a beau dire que c’était la guerre; il y a des choses qui ne s’oublient pas. Oui, mon admiration et ma reconnaissance infinie pour nos amis alliés doivent venir de là. Alors, il y a une semaine, lorsque par ce bel après-midi d’hiver j’entendis les frêles mélodies portées par une voix presque enfantine et une guitare à peine électrifiée, j’accourus. J’écoutai. Deux jeunes femmes, Kitty Perrin, 19 ans, étudiante, et Megan Davidson, 23 ans, musicienne, de Brighton, donnaient une aubade rue des Trois-Cailloux, à Amiens, devant une petite foule séduite. Elles avaient décidé de découvrir la France en distillant, de ville en ville, leur talent de folk-women. La vieille, elles avaient joué à La Pomme d’Ève, 1, rue Laplace, dans le Ve arrondissement de Paris; encore avant, elles s’étaient produites à Lille, interprétant des standards du folk (de Simon and Garfunkel, de Bob Dylan, de Leonard Cohen et des Beatles) mais aussi des compositions personnelles. Je les écoutais, les regardais, et me disais que c’était peut-être l’un de leurs aïeux qui avait porté ce casque plat, les pieds empêtrés dans cette glaise de Tergnier maculée de sang; tout cela pour nous venir en aide au nom de l’honneur et de la liberté. À Kitty et à Megan, j’avais envie de dire merci. Tout simplement.

 

Kitty Perrin.

Dimanche 24 février 2019.

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