Le Patient, Timothée le Boucher. Editions Glénat, coll. 1000 feuilles, 296 pages, 25 euros.
Une jeune fille aux cheveux longs erre en pleine nuit dans les rues d’un quartier pavillonnaire. Recouverte de sang, elle tient un couteau à la main avant d’être repérée puis appréhendée par deux policiers municipaux. Il s’agit de « la petite Grimaud », celle que les mauvaises langues surnomment la débile.
Mutique, Laura ne porte aucune trace de blessure. Les deux fonctionnaires décident de se rendre dans la maison des Grimaud, rue des Corneilles, où les attend une terrible scène de crime. Toute la famille – parents, enfants, grand-mère et cousin – a été massacrée à l’exception de Pierre, 15 ans. Transporté dans un état critique à l’hôpital en raison d’un traumatisme crânien et de plusieurs coups de couteau reçus au corps et au visage, le jeune homme tombe dans un coma profond.
Six ans plus tard, il rouvre enfin les paupières. Spécialiste des questions criminologie et de victimologie, la célèbre psychologue Anna Kieffer, qui a longtemps suivi Laura, se rend à son chevet, bien décidée à obtenir des réponses à ses questions. Car le mystère du « massacre des Corneilles », comme l’a nommé la presse, n’a jamais véritablement été levé. Encore plus après les seuls et derniers mots que prononça Laura, qui s’est suicidée par défenestration, à savoir « C’est pas moi »…
De cette nuit d’horreur, Pierre, lui, ne se souvient de rien si ce n’est de cette inquiétante silhouette noire qui continue de hanter ses rêves et qui le fait hurler de terreur. Il finit par accepter les différentes thérapies que lui propose le docteur Anna Kieffer dont plusieurs séances d’hypnose qui font remonter ses souvenirs à la surface. Pas suffisamment néanmoins pour connaître la vérité. Au fil des mois, le jeune homme retrouve plus de motricité et se lie d’amitié avec d’autres patients gravement blessés comme lui : Bastien devenu muet ou encore Max amputé des jambes, tous les deux accidentés de la route. L’espoir finit par renaître chez Pierre, bien aidé par la séduisante Anna avec qui la relation se trouble, en même temps qu’apparaît une nouvelle ombre meurtrière…
Après l’excellent roman graphique temporel Ces jours qui disparaissent, Timothé Le Boucher fait un retour éclatant avec Le Patient. Un nouveau thriller psychologique particulièrement bien élaboré, qui s’inscrit dans la même veine que sa précédente œuvre récompensée à plusieurs reprises (Prix Utopiales 2018, Prix des Libraires de bande dessinée 2017 par Canal BD, prix des lycéens des Hauts-de-France des Rendez-vous de la BD d’Amiens 2018).
Dans ce one-shot, le jeune auteur développe à nouveau des thèmes qui lui sont chers tels que le rapport à l’autre, la notion du temps, de l’identité et de la mémoire. A travers un personnage central (Pierre Grimaud) disséqué au fil des pages, et qui s’avère finalement beaucoup plus complexe que ce que nous laisse penser les premières pages.
On se délecte des rapports « chauds-froids » qu’il entretient avec le docteur Anna Kieffer, à la fois fascinée et déconcertée par ce patient différent des autres, si « parfait » à ses yeux peut-être aveuglés. On ne peut s’empêcher de penser aux personnages d’Hannibal Lecter et de l’agent Clarice Starling dans le Silence des agneaux.
Le rythme de lecture imposé par l’auteur est lui aussi assez déroutant, alternant entre des moments de quiétude, voire de contemplation, et d’autres d’intenses tensions. Le suspense, aux accents « hitchcockiens », est parfaitement installé et tient en haleine jusqu’à la dernière planche ! On apprécie également les dialogues aiguisés, empreints de réalisme avec cette profonde plongée dans la psyché de Pierre le tourmenté.
Si Timothé Le Boucher nous emmène dans une sombre histoire, elle est aussi pleine de lumière. Il parvient ainsi à faire de l’hôpital où se situe une bonne partie du récit un lieu d’espérance. On retiendra par exemple ces poignantes séances de rééducation ou encore cet amour naissant entre la jeune aide-soignante Thiphaine et Pierre.
Sur le plan graphique, l’auteur fait à nouveau dans le réalisme, son style renvoie à celui de Bastien Vivès, avec un côté manga assumé qui n’est pas pour déplaire. Tout comme la colorisation dans des tons unis et chaud, de grande qualité. Au final, un travail soigné pour un remarquable et brillant Patient. A visiter donc !
L’article Timothé Le Boucher soigne son Patient est apparu en premier sur Courrier plus.