
C’est à chaque fois un grand plaisir de signer mes livres dans le cadre du salon du livre du 1er-Mai, au château du Tilloloy, à l’occasion de la Fête du muguet (la 23e, cette année). Tilloloy. Cela ne manqua pas : je me mis à penser à Blaise Cendrars à son récit La main coupée ; il se déroule, pour presque moitié, au château où le célèbre poète légionnaire combattit en 1915. Alors que j’évoluais dans l’immense parc, je croyais le voir débouler, pipe au bec, gouaille de Parigot mâtinée d’accent suisse de La Chaux-de-Fonds. Il me fut impossible de repartir sans filer dans le potager pour y redécouvrir, près de la serre, contre un mur sur lequel courait encore, il y a peu, un vieux poirier, la pierre tombale d’El Raso, sergent espagnol engagé au 3e Régiment de marche du 1er Bataillon étranger, mort pour la France le 13 mai 1915. Cette inscription est gravée dans la pierre blanche, peut-être de la main droite de Cendrars (il la possédait encore avant qu’elle ne fût fauchée par la mitraille, quelques mois plus tard lors de l’attaque de la Ferme Navarin, près de Suippes, dans la Marne) ; on ne le saura jamais. J’avais découvert ce bel hommage mural il y a plus de douze ans, à la faveur d’un reportage effectué au château en compagnie de ma grande Didiche de Lou-Mary. J’avais écarté les branches du poirier. Et j’avais failli défaillir de bonheur. Comme si j’avais découvert le trésor d’un temple inca. Je repensais aux pages de Cendrars qui, dès le début du livre, évoque El Raso qu’il surnomme Rossi. Il en fait un Italien. Il le surnomme « le bon géant ». Une baraque d’un mètre quatre-vingt-quinze qui écrivit directement à son colonel afin qu’il fît creuser plus profond les tranchées de Frise car, à cause de sa stature, il craignait de se faire dézinguer par les snippers fridolins. El Raso-Rossi termina sa vie au fond de son trou, où il s’était planqué pour engloutir, tel un ours, ses provisions car le lendemain il devait filer en permission. Le Blaise a ces mots terribles : « Un peu après minuit, juste après la relève des sentinelles, une patrouille allemande, comme cela arrivait de temps en temps, nous lâcha une volée de grenades au petit bonheur et l’une d’elles éventra Rossi. Quand nous accourûmes, il ne vivait déjà plus. Notre ahuri s’était vidé dans sa gamelle. » Sur le salon, j’eus le plaisir de retrouver quelques amis écrivains.

Alain Lebrun, magnifique dans son costume très XIXe siècle. Il venait signer son dernier roman Les yeux d’Anna cillaient encore (éd. BOD) ; il m’annonça qu’il sortira, sous peu aux éditions Marivole, un nouveau roman La demoiselle de la colline oubliée et un autre Comme un p’tit coq’licot qui, dit-il, attend encore son éditeur. Il prépare aussi une biographie d’André Slonski, un Picard, « un type hors du commun », religieux, ex-missionnaire, passionné par le moteur à hydrogène.

Autre rencontre : celle de l’écrivain Marie-Christine Collard (et de son mari Dominique), de Lille, auteur de deux romans aux éditions Noir au blanc, de Carpentras : Répliques, en 2017 et Fugu, en 2018. Le premier lui valut notamment le Prix du Lions club du Nord, et le Prix littéraire du salon de Bapaume.

Claude Tillier m’annonça qu’il publierait, dans quelques jours, un conte, La fille au grain dans l’œil (éd. Engelaere) en compagnie de l’illustratrice Anne-Claire Giraudet. J’allais ; je discutais. Mais mon esprit était tout occupé par le bruit assourdissant des grenades allemandes qui éventrèrent, en mai 1915, le pauvre El Raso-Rossi qui ne profita pas de sa permission bien méritée.
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