Le Dernier Pharaon, François Schuiten, Jaco Van Dormael, Thomas Gunzig (scénario), Laurent Durieux (couleur). Editions Dargaud, 92 pages, 17,95 euros (version demi-format, 176 pages, 29,95 euros).
C’est donc un nouveau retour de Blake et Mortimer. Mais comme on ne les a jamais vus. Vieillis, s’étant perdus de vue alors que Blake grimpait dans la hiérarchie militaire tandis que le professeur Mortimer prenait sa retraite. Mais toujours hantés par ce qu’ils avaient vécu dans la pyramide de Kheops, que Mortimer ne cesse de revoir dans un étrange et traumatisant cauchemar.
Ils vont devoir refaire équipe après qu’un rayonnement mystérieux émanant du Palais de justice de Bruxelles a provoqué un black-out généralisé, conduisant à l’évacuation de la ville. Et si le mystérieux champ électromagnétique est un temps maîtrisé grâce à l’ingéniosité du professeur, un attentat d’activistes va encore amplifier le phénomène, qui touche alors une bonne partie de l’Europe. L’armée a comme seule proposition d’y envoyer dessus des
missiles nucléaires, qui pourraient provoquer la libération totale du faisceau et une catastrophe de dimension mondiale.
Mortimer, renvoyé clandestinement à Bruxelles, est le seul à peut-être pouvoir sauver notre monde. Dans la ville devenue zone interdite, à moitié inondée, mais en train de se réinventer, il va
être confronté à une succession de révélations surprenante… Aussi surprenantes qu’est ce récit pour le lecteur.
Avouons-le, les aventures de Blake et Mortimer signées E.P. Jacobs (et plus encore les reprises qui ont suivi) ne m’ont jamais passionnés – ce qui n’empêche pas de reconnaître la qualité technique de ces albums. En revanche, les Cités obscures de Schuiten et Peeters m’ont accompagné depuis la découverte, de jeunesse, de La fièvre d’Urbicande. Autant dire que c’était avec une curiosité mêlée de scepticisme que j’abordais cet album très attendu et au casting tout à fait inédit (avec l’apport du cinéaste de Toto le héros ou Mr Noboby, le génial Jaco Van Dormael, du romancier belge Thomas Gunzig et de l’affichiste internationalement connu Laurent Durieux, une belle bande d’amis).
Un album qui semblait devoir faire converger les deux univers… Et la surprise est franchement agréable.
Plongeant dans un univers fantastique délirant, mêlant aventure ésotérique et anticipation, le récit peut certes apparaître un peu léger (ou au contraire un brin lourdingue), mais il faut accepter d’y plonger comme dans un bon vieux récit d’aventures (et les récits de Jacobs ne brillent pas forcément non plus par leur subtilité).
Ce Dernier Pharaon demeure en effet bien dans l’esprit des aventures de Jacobs. Il apporte aussi un vrai prolongement au diptyque de la Grande Pyramide, tout en évoquant des angoisses et des réflexions plus contemporaines (présentes aussi, avec cette panne numérique généralisée, dans la série Bug de Bilal). Et une fois embarqué dans cette course contre la montre (et l’anéantissement atomique) avec le professeur Mortimer, l’histoire s’avale d’un trait, avec ses rebondissements renversants, ponctués de clins d’oeil aux albums de Blake et Mortimer (La Grande Pyramide bien sûr, mais aussi les animaux préhistoriques du Piège diabolique) et à l’oeuvre de Schuiten (avec un caméo-catastrophe de La Douce ou cette cage de Faraday emprisonnant le palais de justice faisant songer au cube d’Urbicande).
Graphiquement, François Schuiten n’a pas cherché a copier Jacobs. On peut d’ailleurs plus se croire, visuellement, dans une suite de Brüssel, plongé dans le chaos, mais magnifié par le trait hachuré et hiératique du dessinateur, donnant des planches toujours aussi superbes. Et celles-ci apparaissent d’autant plus singulières et étonnantes avec la mise en couleur. Absolument pas naturaliste, et pas non plus proche des Cités obscures, le minutieux travail effectué par Laurent Durieux donne un résultat véritablement captivant et saisissant.
De quoi faire de ce Dernier Pharaon un album très moderne, magistral et unique.
L’exposition Le Dernier Pharaon est encore visible à Amiens, dans le cadre des Rendez-vous de la Bande dessinée 2019 tous les week-ends du mois de juin.
Et dans la foulée, l’exposition Scientifiction Blake et Mortimer ouvre ses portes au Musée des Arts et métiers, à Paris, le 26 juin.
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