Folio réédite Sylvain Tesson, écrivain de haut vol, styliste hors pair, baroudeur invétéré.

Lorsqu’on demande à Sylvain Tesson ce qu’il voudrait qu’on dise de lui quand il ne sera plus, il lance tout de go, sourire aux lèvres: «Il l’a bien cherché.» Et d’ajouter, un tantinet plus grave: «Je me sens chercheur.» Chercheur – d’Essentiel–, il l’est; cela ne fait aucun doute. C’est aussi et surtout un sacré écrivain et un être exceptionnel, voire fascinant. Cet écrivain baroudeur (ce qui est l’étage au-dessus de l’écrivain voyageur), fils d’un journaliste, chroniqueur dramatique, homme de radio et de télévision admiré et respecté (Philippe Tesson), a parcouru le monde, de l’Himalaya à l’Inde en passant par la Sibérie et la Chine; il a voyagé à bicyclette, à motocyclette, à pied.

Stégophile
Il a grimpé sur les plus hauts sommets car ce stégophile depuis l’enfance (il a longtemps sautillé, tel un chat, sur les toits de Paris et sur les hauteurs des cathédrales) n’a pas peur du vide; il n’a pas peur de grand-chose chose à dire vrai. Pourtant, contrairement à ce qu’on pourrait croire, il ne cache rien de suicidaire; il est simplement désabusé, confie l’une de ses sœurs qui explique qu’elle ne l’a jamais vu utiliser une piste autorisée au cours de leurs séjours aux sports d’hiver. Il y a du Blaise Cendrars, du Joseph Kessel, du Jacques Perret et du Roger Vailland chez cet homme qui tient beaucoup de ses parents: son père reste un bretteur incomparable; sa mère, la regrettée Marie-Claude Tesson-Millet (1942-2014), docteur en médecine, malthusienne engagée dans l’humanitaire, pilotait des hélicoptères et sautait en parachute. Difficile de se révéler pusillanime et frileux avec une telle hérédité.
«C’est superbe, et, comble du paradoxe pour cet écrivain du monde, tellement français. Tel père, tel fils.»
Voilà pour l’homme. L’écrivain est à l’aune de l’être de qualité. De nombreux prix l’ont honoré (Une vie à coucher dehors, prix Goncourt de la nouvelle 2009; Dans les forêts de Sibérie, prix Médicis essai 2011; Berezina, prix du Hussard 2015); ce n’est que justice. Les deux présents livres que réédite Folio en témoignent. Sur les chemins noirs (il s’est inspiré – avec son autorisation – du titre du magnifique roman de René Frégni, Les Chemins noirs) est un merveilleux récit de voyages. Après le très grave accident dont il a été victime le 20 août 2014 (à la suite d’un abus de vodka, il escalade la façade d’un chalet à Chamonix, et chute de dix mètres: «Cette chute procède de la rencontre de l’ivrognerie et de la gravité. En termes moins cuistres: je suis tombé d’un toit avec trois grammes dans le sang ce qui n’a pas suffi à amortir la chute», nous confie-t-il avec humour, lucidité et franchise), il frôle la mort. Coma artificiel. Pour se rééduquer et contre l’avis des médecins dubitatifs, il décide de traverser la France à pied, par les chemins noirs (à peine visibles sur les cartes, encombrés de ronces, seulement empruntés par les bêtes sauvages), du Mercantour au Cotentin en passant par le Massif central. Il en rapportera ce livre savoureux, écrit avec pudeur, beaucoup de style et de poésie, sans afféterie. Souvent, on se croit chez Giono. Sylvain Tesson se moque des imbécillités de la modernité, des stupidités nouvelles technologies, et côtoie de vieux paysans qui sont plus sensibles à la santé des prunes qu’à la présence du haut débit. On aimera tout autant Le téléphérique, court ouvrage composé de six nouvelles issues du recueil S’abandonner à vivre où «les facteurs battent les cartes de l’existence», où «les fentes d’une boîte sont à sens unique et les lettres, comme les morts, voyagent vers leur sort: vous les ensevelissez, elles ne reviennent pas de ce petit tombeau jaune.» C’est superbe, et, comble du paradoxe pour cet écrivain du monde, tellement français. Tel père, tel fils. PHILIPPE LACOCHE
Sur les chemins noirs, Sylvain Tesson; Folio; 171 p. Le téléphérique et autres nouvelles, Sylvain Tesson; Folio; 100 p.
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