Tremen, Pim Bos. Editions Dargaud, 64 pages, 14,99 euros.
C’est la plus étrange “vision du futur” proposée par la mini-collection de Dargaud débutée par Aiôn et poursuivi par l’Humain Et un album résolument singulier en soi.
Dans un monde futuriste totalement grisâtre et poussiéreux, un voyageur solitaire erre dans des terres désolées sur sa monture cybernétique. Les cités, où il est contraint de se rendre pour se recharger en énergie sont tout aussi morne et désespérantes. Il semble aussi provoquer le chaos – ou du moins une agitation destabilisante à son passage. Dès le début, un homme se fait entraîner dans le ciel par une sorte de ballon-sonde avant de décrocher puis de s’empaler sur une antenne ; plus tard des sortes de gros vers s’extirpant en rampant d’une mer huileuse vont être la proie d’humanoïdes en furie. Entre les deux, il défiera la police matraquant un robot avant de décapiter à son tour un autre de ces robots à l’air ébahi qui s’en prenaient à sa monture…
Il ne faut pas se le cacher, cet album apparaît d’abord bien hermétique. Cela d’autant que ce récit est totalement muet. Et malgré plusieurs relectures, il est toujours aussi difficile de prétendre avoir saisi tout le sens de ce délire (le titre évoquant le delirium tremens). Mais pas d’agitation névrotique ici. Tout au contraire, une ambiance postapocalyptique morne, parsemée d’instants d’action fulgurante. Et aussi quelques clins d’oeil, comme cette hallucinante apparition transfigurée de Nighthawks, le célèbre tableau d’Edward Hopper.

Mais, surtout, il y a cette grisaille omniprésente qui occupe toute les pages, ce graphisme éblouissant, très pictural, renforcé par une mise en page avec peu trois cases maximum rythmée par de pleines pages semblables à autant de petits tableaux. Et ce dispositif a un effet progressivement très envoûtant.
Alors, en trois chapitres (qui en appellent d’autres ?), ce périple silencieux et solitaire à la Arzach de Moebius – où l’oiseau aurait laissé place à un curieux quadrupède – fascine et s’impose, dans un étrange ressenti d’angoisse et de mélancolie. Et puis, un ouvrage d’un jeune auteur néerlandais illustrateur de jeux vidéos dont c’est là apparemment la première bande dessinée ne peut que susciter la curiosité. Surtout quand il est chaleureusement salué à la fois par Philippe Druillet et Marc Caro. Et inciter à percer les secrets de son récit.
Marc Caro, dont l’univers cinématographique s’approche par certains aspects de Tremen, livre d’ailleurs une clé pour tenter de résoudre le mystère, en soulignant que “tremen” en breton veut dire “passage”. C’est effectivement vers une autre dimension qu’entraîne cet album. Et cela vaut le coup d’y basculer.
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