Chaplin, tome 1: Chaplin en Amérique, Laurent Seksik (scénario), David François (dessin et couleurs). Editions Rue de Sèvres, 72 pages, 17 euros.
Après Stefan Zweig et Modigliani, l’écrivain Laurent Seksik s’attaque à une autre biographie en bande dessinée: celle de Charles Spencer Chaplin. Et pour cela, il s’est associé au dessinateur amiénois David François.
L’histoire, dans ce premier tome (sur trois annoncés) débute en octobre 1912, Charles Chaplin, petit acteur de music-hall londonien sans succès s’est décidé à franchir l’Atlantique. Ambitieux et persuadé que bientôt “pas une femme, un homme, un enfant qui n’aura pas (son) aux lèvres“. Les débuts new yorkais sont difficiles, mais une voyante lui prédit une “carrière extraordinaire” et un envoyé de Mack Sennet, le plus gros producteur d’Hollywood d’alors le repère et le fait venir en Californie, dans le temple encore balbutiant du 7e Art. En quelques mois, il devient une star. Entretemps, il aura réussi à se composer la silhouette qui marquera le monde entier, celle de Charlot.
L’ambition de cette trilogie n’est pas de raconter toute la vie de Chaplin, mais plutôt de mettre en lumière trois mouvements particuliers qui, pour Laurent Seksik, caractérise ses “trois vies”: la création de Charlot et la conquête de Hollywood d’abord, l’engagement militant et humaniste du réalisateur du Dictateur et des Temps modernes ensuite, la confrontation avec Edgar Hoover et le maccarthysme enfin.
Comment devient-on donc Charlot ? Ou plutôt, qui était Charles Chaplin derrière la petite moustache de l’homme si connu au chapeau melon et à la canne ? C’est ce que proposent de faire découvrir Laurent Seksik et David François dans cette biographie graphique enlevée et romancée où, comme pour ses précédents personnages, le scénariste mêle petites anecdotes véridiques et séquences imaginées pour en tirer la quintessense du personnage.
C’est ainsi qu’à travers ce premier album allant de 1912 à 1920, les auteurs reviennent aussi sur l’enfance de Chaplin, à travers des flash-back s’intégrant naturellement au récit, rappels notamment du destin tragique du père de Chaplin, lui-même acteur, alcoolique finissant misérablement sa vie comme clochard sur les trottoirs de Londres. Elément marquant dans la destinée future de son fils. Et ils ne masquent pas les aspects plus sombres du personnage, pas forcément aimable ni toujours sympathique.
Ce mélange de réalisme et d’imaginaire, de destin s’impose dès le prologue, dans la cale surpeuplée du paquebot faisant route vers New York, avec un Chaplin discutant avec Stanley Jefferson (le futur “Stan Laurel” de Laurel et Hardy) d’une fille qu’ils ont laissé à Londres. Fin 1912, la troupe anglaise ou jouent en effet Stanley et Charles part bien en tournée aux Etats-Unis, mais rien ne semble confirmer la teneur d’une telle conversation.
Au-delà des textes et de la narration, c’est surtout le dessin de David François qui illustre et incarne le mieux ce destin fantasmé et cette liberté d’esprit si dynamique. Ayant déjà mis pied à New York dans les années 30 pour son précédent diptyque – déjà non dénué d’un certain onirisme visuel – Un homme de joie, le dessinateur amiénois déploie plus encore un trait enlevé et aérien (au sens propre, même lorsque, au début, il fait flotter le paquebot sur Broadway).
Il se libère encore plus des contraintes formelles de la planche et du gauffrier, avec un trait virevoltant et souple, si caractéristique, allant même – dans un belle planche vers la fin – à révéler un Chaplin comme prisonnier derrière la grille des cases ou chutant d’une case à l’autre (à la manière d’Imbattable). Quelques pleines pages ou double pages accentuent encore cette dimension, que le grand format de l’album magnifie encore plus. Un joli exercice de mise en scène, tourbillonnante et très cinématographique. Un style vraiment adapté au ton de ce récit sur Chaplin.
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