
Il y a deux mois, j’ai reçu un SMS de mon tout premier amour, une adorable Ternoise, connue au cours de notre prime adolescence, aimée quelques années plus tard. D’une blondeur éblouissante, yeux azurins, pommettes saillantes, asiatiques, couettes de lolita, K-Way bleu ciel, Clarks, elle était en sixième, allemand première langue; j’étais en cinquième, refusant déjà la langue de Goethe, m’adonnant à celle de Shakespeare, étayant cet apprentissage par le décryptage des paroles des chansons des Stones et de celles des Beatles. Elle pratiquait l’athlétisme, discipline dans laquelle elle excellait; je tatanais comme arrière droit dans l’équipe minime, puis cadette de l’Entente sportive des cheminots ternois (ESCT), club dans lequel, juste avant la deuxième guerre, mon père avait officié au même poste. Elle me fascinait. Il n’y a rien de plus pur, de plus beau, de plus fou, de plus inouï qu’un premier amour d’adolescent. Alain-Fournier et son Grand Meaulnes l’ont parfaitement exprimé avec une poésie infinie. Je la dévorais du regard; elle me regardait à peine. Je me réconfortais en caressant, distrait, les panties orange de Marie-Christine, une petite Ternoise, mignonne et charnue comme une pêche de vigne. Mais mon cœur était ailleurs; il n’était qu’à elle. L’inaccessible. Il me fallut attendre quatre ans pour, qu’enfin, elle s’intéressât à ma personne. Je m’étais mis à jouer de la guitare comme un forcené, écumant les groupes de rock’n’roll, de blues et de boogie de l’Aisne. Un soir d’automne, elle frappa à la porte de la maison familiale. Elle voulait me voir. Je compris le message. Notre histoire d’amour dura deux ans, entrecoupée d’une rupture d’un an. Un amour. Il n’y a pas de mots assez forts pour définir cet état. Nos jeunes cœurs et nos petits corps s’emboîtaient à merveille. Elle me quitta un jour de mai 1975; je me retrouvai exsangue. M’en suis-je un jour remis? Je n’en suis pas certain. Il y a peu, à la faveur d’une dédicace à la librairie «Le Dormeur du Val», à Chauny, je l’ai enfin revue. Je l’ai invitée à prendre un verre dans le café de nos amours anciennes. Même yeux bleus et vifs; mêmes pommettes asiatiques. Même allure de femme libre qu’elle n’est plus car mariée depuis belle lurette. Nous passâmes quelque trente minutes ensemble; j’étais abasourdi. Je fonçais chez mon frère, à La Neuville-en-Beine qui m’offrit le couvert et le gîte. Le lendemain, en repartant vers Amiens, au sortir de La Neuville, je m’arrêtai devant le monument des Sentiers de la Mémoire; il rend hommage à l’équipage de l’Halifax tombé à cet endroit le 9 août 1944, dans le cadre de l’opération Tom 53-Guivry. Deux avions avaient été envoyés en mission de parachutage pour la Résistance. Ils se firent surprendre deux chasseurs allemands alors qu’ils se préparaient à parachuter les armes. L’un des Hallifax fut abattu. Je contemplais les visages de ces six jeunes Britanniques. Temps pluvieux; vent fou. Plaine brune. Émotion devant l’immense courage de ces jeunes gars venus mourir ici pour faire reculer la barbarie nazie. Un nœud de larmes me nouait le cœur. Je me disais que sans eux, sans le courage de milliers d’autres, jamais, peut-être, je n’aurais eu le privilège de connaître cette histoire d’amour si forte, si puissante, au cœur des seventies. Les six aviateurs reposent depuis août 1944 au cimetière de Cugny.
Dimanche 6 octobre 2019.
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