Le chroniqueur judiciaire Julien Mucchielli pratique l’autopsie d’une affaire criminelle hors-norme : l’assassinat de l’abbaye de Port-Royal.
Dans la nuit du 26 février 2012, François Darcy appelle les gendarmes et décrit une scène extraordinaire : arrêté sur le parking de l’abbaye de Port-Royal, dans les Yvelines, il a été touché dans le dos par un coup de feu, il a perdu connaissance ; quand il a émergé, il a vu sa voiture brûler avec à l’intérieur sa femme Sylvie.
Spontanément, en cas d’homicide d’une épouse, les soupçons se portent sur son mari. C’est la thèse qui prévaudra cette fois encore, quand bien même une bonne dose d’imagination est requise pour concevoir que Darcy a réussi à se tirer dans le dos, au niveau de l’omoplate, sans atteindre de zone vitale, puis, blessé, a réussi à cacher un fusil qui ne sera jamais retrouvé.
Darcy est son pire ennemi
L’attitude de cet homme bourru n’aide guère gendarmes et magistrats à mettre en branle une antithèse qui lui serait favorable. Les témoignages des proches du couple, qu’il formait depuis dix ans avec Sylvie, achèvent de noircir son portrait. On finit par considérer que ce géant de deux mètres, décrit comme un tyran alcoolique, a tué par peur du divorce et par appât de l’assurance-vie de son épouse. Deux fois, à Versailles puis en appel à Nanterre, des cours d’assises le condamneront à trente ans de réclusion.
Ce n’est pas un procès en révision
Talentueux chroniqueur judiciaire, notamment à Dalloz Actualité et dans le blog Epris de Justice, Julien Mucchielli est entré dans ce dossier par les procès. En écrivant Dix ans de mariage, un livre sec comme un coup de trique, il passe au-delà de la ligne rouge qui tient le journaliste dans le cercle protecteur de l’audience. Il dresse un portrait remarquable de la mère de l’accusé, mère courage seule à le soutenir ; il liste les zones d’ombre de l’enquête, les pistes méprisées ; il va jusqu’à rencontrer le condamné à la prison de Fresnes : il remet l’homme au cœur de son affaire.
Dix ans de mariage – un vrai objet littéraire, pas un « super article » – ne se prend pas pour un procès en révision. Mucchielli ne s’érige pas en chevalier blanc de la vérité ; plutôt en fanatique du doute. Or François Darcy a écopé d’une peine lourde au terme d’une enquête et de procès que le chroniqueur décrit à charge. Ses meilleures pages dressent le portrait de magistrats, qu’ils fussent du parquet ou du siège, assis sur les coussins de leurs certitudes.
Ceux qui se passionnent pour la chose judiciaire apprécieront ce livre court et utile ; les autres davantage encore !
TONY POULAIN
Dix ans de mariage, Julien Mucchielli, éd. JCLattès. 175 p. ; 17 euros.
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