19/09/2018
Le vol oui, l’homicide non
Aux assises de l’Oise, Johann Gillot persiste à nier avoir tué le propriétaire du quad. «Alors que je marchais vers la maison, j’ai vu deux hommes y entrer », affirme-t-il.

Gentil », « serviable », « solitaire », « plutôt craintif » : l’abord de Johann Gillot confirme les dires de ses proches. L’homme de 33 ans est plutôt fluet, dans sa chemise bleue ouverte sur un t-shirt noir, une barbe bien taillée, le crâne dégarni et, quand il prend la parole, une difficulté qui témoigne du bec-de-lièvre qui le complexa lors de son enfance, dans une cité populaire de Montataire. Non, on n’imagine pas l’homme qui aurait causé la mort de Fabrice Dufeu. D’ailleurs, il nie : « J’ai de l’empathie pour la famille. C’est vraiment malheureux mais franchement, je ne suis pas coupable. J’ai peur d’être condamné à tort. »
« JE SUIS UN VOLEUR »
DES ZONES D’OMBRE
Détenu pour un braquage
Un des jurés connaissait l’accusé
De deux choses l’une
Johann Gillot a peiné à convaincre de sa thèse selon laquelle deux hommes auraient profité de sa tentative de vol d’un quad pour tuer Fabrice Dufeu.
De deux choses l’une: si l’on suit Johann Gillot quand il affirme n’avoir pas porté de coups à Fabrice Dufeu, il faut que quelqu’un d’autre soit à l’origine de la mort de ce colosse d’1,98 mètre et 110 kg. Et que ce tueur ait été rapide, puisqu’il aurait tué entre le moment où Gillot part en courant du lieu où il a été roué de coups, et celui où la femme de Dufeu, 26 ans, découvre le corps inanimé de Fabrice dans la neige. Soit quelques minutes, vers 1 h 30, en ce 24 décembre 2010. Allons au bout de l’idée: il faudrait que ce, ou ces tueurs, aient eu la chance inouïe de frapper à l’instant même où un voleur opérait.
La thèse des deux hommes
Seulement depuis le 28 janvier 2011, Gillot affirme qu’il a croisé deux hommes bien habillés dans la nuit glaciale qu’il a vus entrer dans la propriété (ou la maison, selon ses versions) de la victime, ce qui n’aurait pourtant pas découragé son projet de cambriolage. «Oui, mais je l’avais dit avant, sauf que les gendarmes ne me filmaient pas à ce moment-là», objecte-t-il. La conjointe de Fabrice Dufeu et sa fille de 19 ans à l’époque étaient aux premières loges de la tragédie. Or elles sont formelles: il n’y avait personne d’autre que la famille et le voleur, cette nuit-là, dans ce quartier cossu, en périphérie de Villers-sur-Coudun, au nord de Compiègne.
«Il est mort d’une asphyxie consécutive à un œdème causé par une pression sur la glotte» (le légiste)
Pour faire un beau Noël
« Le quad, c’était son rêve. Je le lui avais offert au Noël de l’année d’avant. Il venait de nous trouver cette maison pour que nous prenions un nouveau départ »: Roselyne ne nie pas que le couple formé avec Fabrice avait connu des difficultés mais elle affirme que depuis un an, il en sortait.
En cette fin d’année 2010, Fabrice était sans emploi, le temps de boucler une formation d’infirmier. «Nos comptes étaient pourtant positifs mais il se faisait un monde de ne pas subvenir aux besoins de la famille», se souvient celle qui partageait sa vie depuis 2006.
Le 23 décembre, « il m’a dit qu’il était inconcevable qu’on n’ait pas de Noël, retrace sa belle-fille. Il a rassemblé des objets, lecteurs CD, appareils photos, consoles de jeu, pour essayer de les revendre chez Cash Converters. Mais il n’a pas été satisfait du prix proposé. Alors il m’a demandé de l’aider à mettre le quad en vente sur le Bon Coin. D’ailleurs, quand maman est rentrée, ils ont eu une petite dispute à ce sujet. Elle disait que ce n’était pas nécessaire pour s’offrir des cadeaux ».
Pendant ce temps, Gillot consultait l’annonce de Fabrice dans un cyber-café de Creil et retrouvait l’adresse du vendeur grâce aux Pages Jaunes. La machine infernale était en marche.
22/09/18
Dix-huit ans pour Johann Gillot
En reconnaissant Johann Gillot coupable d’avoir causé la mort de Fabrice Dufeu, les jurés ont suivi les réquisitions du ministère public.
Si ce n’était lui, c’était donc un autre… Les jurés n’ont pas imaginé, ce vendredi, qu’un tueur opportuniste ait pu profiter du vol d’un quad par Johann Gillot pour occire Fabrice Dufeu, le propriétaire qui avait tenté d’interpeller lui-même son voleur.
Le matin, l’avocat général Benjamin Coulon avait requis les dix-huit ans de réclusion finalement prononcés à 18 heures. Il entame son réquisitoire en reprenant les mots de Gillot, prononcés mardi en début d’audience : « Dans les cités, il y a des gens bien ». « Je partage cette opinion , avoue le magistrat du parquet. Mais l’audience a démontré que l’accusé n’était pas quelqu’un de bien ». Dans une longue démonstration que l’avocat de défense Jérôme Crépin qualifiera de « prêchi-prêcha de 90 minutes », M. Coulon reprend point par point (l’expertise médico-légale, l’ADN, la chronologie, les constatations techniques, les versions variables de l’accusé) tout ce qui converge vers la culpabilité de Gillot, et il évacue les zones d’ombre (notamment l’absence d’ADN de l’accusé sur le cou de celui qu’il est censé avoir étranglé).
Me Crépin peut ironiser : « L’ADN, c’est la reine des preuves quand ça vous arrange… » L’avocat général a des mots durs pour la « stratégie d’évitement et de victimisation de Johann Gillot », pour son « geste impulsif, égoïste et mortifère » ; des doutes sur l’avenir, aussi, quand il rappelle que depuis 10 ans, « les deux fois où M. Gillot a été en liberté, il a fini devant une cour d’assises ».
« ÇA AURAIT ÉTÉ TELLEMENT SIMPLE »
Et alors ? rétorque Me Crépin, « oui, je défends un sale petit voleur ». L’avocat abbevillois ne suit même pas son client sur la thèse des deux hommes qui auraient surgi dans la nuit glacée du quartier huppé. Il n’assène « aucune certitude » : juste le doute, le « doute raisonnable, le pourcentage d’erreur » qui doit profiter à son client. Et d’exprimer ce qui est devenu une certitude tout au long du procès : « Ça aurait été tellement simple que Gillot nous dise “il m’a chopé, il y a eu un échange de coups, je ne savais pas qu’il était mort” ».
Certes, mais Gillot, dans une dernière intervention, étonnamment longue, n’en démord pas : « Je ne l’ai pas touché. Quand je suis parti, il était vivant. Ça fait huit ans que j’espère qu’un coupable soit arrêté. Je suis un voleur, pas un monstre. On dit que les innocents se défendent mal : c’est parce que les coupables, eux, ils connaissent la vérité… »
Procès en appel à Amiens
14 octobre 2019
Les parties civiles se déchirent au procès Gillot
La famille de la victime, Fabrice Dufeu, accuse sa veuve de « tout un tas d’horreurs » qui pourraient la mettre en cause. L’accusé Johann Gillot assure ne pas la connaître.
LES FAITS
Depuis ce lundi, Johan Gillot, 34 ans, comparaît en appel devant la cour d’assises de la Somme, pour avoir causé la mort, lors d’un vol qui a mal tourné, de Fabrice Dufeu, 28 ans, à 1 h 30 le 24 décembre 2010 à Villers-sur-Coudun, dans l’Oise.
Le 22 septembre 2018, à Beauvais, Gillot avait été condamné à 18 ans de réclusion.
Le verdict est attendu mercredi soir.
Fraîchement tirés au sort, les neuf jurés de la cour d’assises d’appel de la Somme ont été projetés ce lundi matin dans un débat auquel ils ne s’attendaient pas. On avait dû leur dire, à juste titre, que l’accusé est au cœur du procès. Or ces juges d’un jour ont assisté à une surréaliste mise en accusation d’une des victimes, l’ancienne concubine de Fabrice Dufeu, Roselyne.
Tout vient d’une lettre envoyée à la présidente de la cour d’assises de l’Oise, après le premier verdict de septembre 2018. Les parents et la fratrie – sauf un frère – du mort s’y étonnaient que lors de l’audience, il n’ait jamais été fait écho de leurs propres déclarations en procédure, quand ils relataient que le couple formé par Fabrice et Roselyne connaissait « des hauts et des bas, surtout des bas », comme le résume Steve, l’un des frères.
« C’est embêtant d’accuser sans preuve »
Steve est appelé à la barre. Très gêné aux entournures – « C’est embêtant d’accuser sans preuve », avoue-t-il – il use de circonvolutions au point que la présidente Ledru doit le rappeler à l’ordre : « Votre lettre était beaucoup plus précise ! »
Alors il se lâche. On apprend que Corinne, une belle-mère d’un des frères, pendant le premier procès, a pris langue avec la compagne de l’accusé Johann Gillot. Pendant le délibéré, c’est toute la famille qui a entouré cette jeune femme et lui a tenu un discours confus dont elle a retenu, parmi « tout un tas d’horreurs », qu’ils « savaient que Johann était innocent », ou au moins qu’il n’était que l’instrument de Roselyne, laquelle « fait sa veuve éplorée pour toucher le million ».
« Une complicité »
Et de broder sur le fait que les chiens, la nuit du drame, étaient confinés à l’étage alors que d’habitude, ils étaient toujours à la cave ; que la veuve était rentrée chez elle, dans la nuit enneigée, contre toute logique et avait pris soin de photographier son compteur kilométrique (pour se couvrir ?) ; que son frère, gendarme, était intervenu dans la nuit pour mieux contrôler ses dépositions ; qu’elle trompait Fabrice avec son meilleur ami ; qu’elle vendait de la drogue avec son conjoint ; qu’elle était violente, laissait souvent Fabrice dormir dehors, et, lors d’un repas de famille en octobre, aurait menacé : « Un jour il y aura un accident ».
Steve résume, à l’invitation de son avocat Me Daquo : « On pourrait penser à une complicité. J’ai le sentiment que Johann Gillot n’était pas tout seul et qu’on n’a pas assez creusé là-dessus ».
Soudain, on comprend mieux la ligne de démarcation invisible qui sépare les parties civiles : la veuve, sa famille et un frère Dufeu derrière les avocats ; les autres au premier rang du public. Irréconciliables quand, logiquement, la douleur devrait les unir.
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« Je n’ai pas tué ! »
Un an après son premier procès, la ligne de défense de Johann Gillot n’a pas varié : « Si j’ai fait appel, c’est que je suis innocent. Je suis un voleur, c’est vrai. Ce soir-là, je suis venu pour le quad. La victime m’a rattrapé et m’a tapé dessus, puis je me suis sauvé. Je n’ai pas tué. Et j’étais seul, je ne connais pas cette dame (Roselyne). Si j’avais eu un complice, je l’aurais dit, ça aurait arrangé mon cas ! »
15 octobre 2019
Le procès avance, la vérité recule
Trois jours à Beauvais, déjà deux à Amiens, et on y voit de moins en moins clair dans les circonstances du meurtre de Villers-sur-Coudun.
Il n’a pas beaucoup changé, Johann Gillot. D’abord au physique : un homme à l’allure sportive et soignée, pull gris, cheveux clairsemés, barbe bien taillée. Au ton aussi : « correct et poli », disent les gardiens de prison, et on le vérifie. Ses douze mentions au casier, dont une pour braquage et évasion, lui ont appris le fonctionnement de la justice en général et d’une cour d’assises en particulier. Il en use.
Surtout, sa ligne de défense n’a pas varié depuis le procès de Beauvais. « Oui je suis un voleur », répète-t-il, pour mieux ajouter : « Je ne suis pas un tueur. Je ne vais pas avoir du sang sur les mains pour un quad… » À vrai dire, on ne l’accuse pas de meurtre, mais d’avoir involontairement donné la mort en se battant avec le propriétaire du quad, Fabrice Dufeu. Il nie : « Il m’a roué de coups, je me suis évanoui. Quand je me suis réveillé, il s’était écarté pour dire à sa femme d’appeler les gendarmes. Je me suis sauvé à travers champs. Il était vivant. Qui l’a tué ? J’aimerais bien le savoir ! »
La piste des « men in black »
Disons-le, la version de Gillot est truffée d’incohérences. À l’en croire, il croise deux hommes (« qui ne laissent pas de traces dans la neige et dont vous ne parlerez que très tard », remarque Me Daquo), lesquels entrent dans la maison dont une fenêtre éclairée prouve que les occupants ne dorment pas : pourquoi prendre le risque de voler quand même ? « À la base, je pensais juste repérer mais la clef était sur la porte de garage, j’ai été trop tenté », justifie-t-il.
Suivons-le quand même : s’il n’a pas tué, un autre l’a fait (la clef de bras qui a brisé le cou de la victime est attestée par le légiste). Qui, alors ? Les « men in black », ironise Me Cathy Richard ? La compagne de Fabrice et sa fille, découvrant son cadavre cinq minutes après qu’il fut sorti en furie du salon, jurent qu’elles n’ont rien vu ni entendu dehors. Doit-on alors reconnaître en elles des complices, selon les élucubrations émises par une partie de la famille Dufeu lundi matin ? Gillot jure qu’il ne les a jamais vues ! (Accessoirement, il faudrait d’urgence les proposer au César de la meilleure actrice, tant leur douleur déchira la torpeur de la cour d’assises ce mardi matin.)
Il faudrait enfin imaginer qu’à 1 heure du matin, un 24 décembre, le ou les tueurs de Fabrice Dufeu auraient par le plus grand des hasards profité d’une tentative de vol pour réaliser leurs noirs desseins… Sinon, les jurés le considéreront comme coupable, parce que personne d’autre ne peut l’être. Sous réserve d’un doute raisonnable…
L’article Oise. Procès Gillot pour vol avec violences ayant entraîné la mort. 24/12/2010. Villers-sur-Coudun est apparu en premier sur Courrier plus.