La fille de Vercingétorix, Jean-Yves Ferri (scénario), Didier Conrad (dessin), Thierry Mébarki (couleur). Editions Albert-René, 50 pages, 9,99 euros. Edition luxe, 39 euros. La fille de Vercingétorix-Artbook, 112 pages, 199,95 euros.
En 50 avant J.C. – César, c’est bien connu – n’était pas parvenu à contrôler toute la gaule (car “un village d’irréductibles gaulois résiste encore et toujours”…). En 2019 après J.C., Astérix lui a réussi, lui, à envahir toutes les librairies et supermarchés de France et même au-delà avec son nouvel album.
Si la performance éditoriale est incontestable – donnant à l’opération des airs de Débarquement de Normandie – en matière de logistique ou de préservation du secret – quant est-il de la qualité de ce quatrième album signé Ferri-Conrad ? Un album qui marque, selon le balancement traditionnel de la série, un retour au village d’Armorique, après une virée italienne convenue mais au rythme enlevé.
Dernière poche de résistance face à l’impérialisme romain, le village d’Abraracourcix est l’ultime refuge pour la fille de Vercingétorix, que César souhaite capturer afin de l’adopter et d’en faire une vraie jeune fille romaine. Dans l’attente du navire qui devrait les emmener en Angleterre où ils entendent poursuivre le combat, les deux chefs arvernes, Ipocalorix et Monolitix et (un petit gros et un grand mec au grand nez) qui ont recueilli Adrénaline la confient au villageois.
Boudeuse, un peu dépressive (on le serait à moins). La jeune fille est aussi fugueuse, a-t-on prévenu Abraracourcix. Astérix et Obelix vont donc être chargés de la surveiller discrètement. Tandis qu’Adrénaline sympathise avec des jeunes du village – Blinix et son petit frère Surimix, fils du poissonnier et Selfix, fils du forgeron, étudiants en Condate mais en stage chez leurs parents. Et alors que dans le campement romain voisin, on s’efforce de ne surtout pas relancer une nouvelle guerre des gaules, que les pirates accostent pour refaire leurs réserves d’eau douce, les jeunes vont fomenter un plan pour permettre à Adrénaline de réaliser son rêve d’évasion, loin du pesant destin qu’on lui assigne.

On est bien ici dans l’univers d’Astérix, avec son village de “Gaulois réfractaires” (néologisme époque Macron Ier, rappelé au détour d’un dialogue), ses personnages emblématiques, ses figures incontournables (les romains et les pirates, mis en avant dans cette aventure). L’ajout des nouveaux jeunes personnages s’intègre bien dans l’ensemble, toujours soutenu par son lot de gags et de jeux de mots. Côte dessin, l’immersion est encore plus totale. Didier Conrad restitue avec une incroyable similitude le dessin d’Uderzo.
Mais on aurait pu escompter que l’émergence de cette nouvelle génération d’ados rebelles marque aussi une émancipation du duo d’auteurs et l’affirmation d’une nouvelle audace. Or, à l’inverse, cet album apparaît bien aseptisé et timoré.
Au-delà de la fausse piste d’une Adrénaline en Greta Thunberg (confusion née de sa posture en couverture, attitude nettement moins probante à l’intérieur dans son dessin et le comportement du personnage, qui n’a rien d’une pasionaria de l’environnement), cet Astérix manque même d’ancrage consistant dans son époque – ce qui faisait le charme et la raison d’être des meilleurs opus de l’époque Goscinny-Uderzo.
On peut certes voire à travers les deux chefs arvernes, les « deux papas adoptifs » de la jeune fille, un petit clin d’oeil au débat sur le mariage pour tous la GPA, mais cet aspect n’est nullement utilisé (même si la tristesse finale des deux guerriers dépasse la loyauté militaire attendue). Il en est de même du conflit de générations, censé être au coeur de l’album, exprimé dans une case à travers le rejet du système “Menhir – potion – sangliers”, mais atténué par des adolescents finalement très sages – et nettement moins horripilant ou émouvant finalement que pouvait être Goudurix, le jeune venu de Lutèce d’Astérix et les Normands. Finalement, c’est encore le personnage secondaire du jeune marin hippie Letitbix qui s’avère le plus original, dans le genre, en s’exprimant en chansons des Beatle, vieilles de cinquante ans.
Et cette sagesse, cette prudence, cette volonté peut être de ne vouloir choquer personne se retrouve dans la narration, elle aussi d’une certaine mollesse.
Car, tout bien pesé, au final il ne se passe pas grand chose dans cette histoire, qui fait du cabotage autour du village. L’album fait quelque fois sourire (le gag le plus drôle, le seul à inciter à l’éclat de rire, est encore la manière bien à lui d’Obélix de faire appliquer la non-violence à coups de menhir…). Il s’achève sur une note sympathique et une morale très consensuelle, qui ne bouscule en rien la face du monde. Celui des Gaulois comme le nôtre.
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