Jean-Luc Coatalem fait revivre son grand-père, assassiné par les nazis. Bouleversant.
Chacune de ces pages s’est écrite au plus près d’un homme disparu dans la tourmente de la Seconde Guerre mondiale. Elles constituent le destin de mon grand-père, des siens, des nôtres», écrit Jean-Luc Coatalem dans la postface de son roman La part du fils. Roman, oui; il n’a pas souhaité faire entrer son texte dans la catégorie récit car certaines séquences ont été «supposées, interprétées ou imaginées». Mais, on l’a compris, Paol, le personnage central de ce beau livre émouvant, est bien son grand-père. Ancien officier colonial, Paol, en septembre 1943, est interpellé par la Gestapo dans un village du Finistère. Il a été dénoncé. Que lui reproche-t-on? Personne ne le sait, sauf ses bourreaux. Emprisonné avec des résistants, il connaîtra les camps d’internement et de concentration nazis, en France, puis en Allemagne. Il n’en reviendra pas. «Un silence pèsera longtemps sur la famille», écrit encore l’auteur en quatrième de couverture. «Dans ce pays de vents et de landes, on ne parle pas du malheur. Des années après, j’irai, moi, à la recherche de cet homme qui fut mon grand-père. Comme à sa rencontre. Et ce que je ne trouverai pas, de la bouche des derniers témoins ou dans les registres des archives, je l’inventerai. Pour qu’il revive.» Sous ce texte, l’éditeur commente: «Le grand livre que Jean-Luc Coatalem portait en lui.»
«Ici, on retrouve un peu de tout ça mais, de plus, on le sent au bord
du précipice de l’intime. Comme aux abois, presque en urgence.»
Un grand livre? C’est un euphémisme. Qui a lu Zone tropicale, Triste sire, Villa Zaouche, Tout est factice, Je suis dans les mers du Sud (Gauguin) connaît l’indiscutable talent de Coatalem. Son style, son ton, cet humour léger à fleur de phrases comme à fleur de peau; son goût aussi pour un monde ancien. Une France enfouïe et ses colonies fanées. Ici, on retrouve un peu de tout çamais, de plus, on le sent au bord du précipice de l’intime. Comme aux abois, presque en urgence, pressé qu’il est de déchirer la lourde toile de ce silence qui le hante et l’étouffe. Cela renforce la beauté de ce roman-récit. On le comprend au fil des pages: Paol fit, bien sûr, de la résistance et très certainement à haut niveau. Il le paya en connaissant l’horreur. Celle-ci est décrite avec une minutie quasi clinique par l’écrivain. Sa colère, sa haine bien légitime, toujours, sont retenues avec une dignité qui l’honore. Parfois, on a envie de vomir devant la barbarie nazie, la sauvagerie allemande. Il est rappelé au passage qu’au camp de Dora, où Paol séjourna, furent construits les V2, ancêtres des fusées spatiales, œuvres de von Braun qui s’en tira bien puisqu’il termina ses travaux aux États-Unis. Il restera le père du premier alunissage américain. «N’en déplaise à von Braun et à son sourire triomphal, sa conquête des étoiles avait dû franchir d’abord les portes de l’enfer. Les prisonniers de Dora en firent les frais, Paol parmi eux. Comment l’oublier en regardant le ciel?»
Traversé par l’Histoire et l’horreur du nazisme, ce livre recèle la puissance des grands livres. Réussite totale. PHILIPPE LACOCHE
La part du fils, Jean-Luc Coatalem, Stock; 263 p.; 19 €.
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