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Un phénomène

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Même si ce qu’on lui reproche – outrage et rébellion le 8 juillet 2019 à Albert – n’a rien d’inédit au correctionnel, Jérôme, 28 ans, n’est pas un prévenu comme les autres. Le juge le sait et comme la grève des avocats vide les audiences de leur substance, il prend la peine, ce jeudi, d’interroger longuement le phénomène qui lui fait face, cheveux longs et bouclés, jeune barbe, regard pleurnichard et survêtement court qui laisse apparaître une cheville dénudée. (Ça fait négligé mais je suis sûr que tout est étudié.)

Il y a d’abord la version gendarmesque de la soirée. Les militaires sont appelés vers 22 h 30 par un riverain, qui se plaint de nuisances sonores. Arrivés dans une résidence, ils font face en effet à un groupe de jeunes qui écoutent un bruit, assimilé par eux à de la musique. Sans qu’on ne lui demande rien, Jérôme s’approche de la brigade et d’emblée l’agonit d’injures : « Sales schimdts, enculés, pédés, je baise vos mères » . Il est interpellé non sans que ses copains ne s’en mêlent : « On va vous tuer jusqu’aux derniers, sales pédés, sales flics ». (Au passage, on ne dit pas qu’elles sont toujours parfaites, mais à l’abri de notre salon, devant la télé ou un écran d’ordinateur, avons-nous la moindre idée de ce que subissent les forces de l’ordre chaque jour et surtout chaque nuit ?) Au poste, Jérôme refuse le contrôle d’alcoolémie. À l’hôpital itou. De retour à la gendarmerie pareil. Il est alors placé en cellule. « Et là, il devient comme fou. J’ai rarement vu ça » , confie un planton.
L’originalité du dossier, c’est la version qu’en donne Jérôme : « Je sors de chez moi, je tombe sur des connaissances. C’est vrai que je bois deux ou trois bières et là, vous me plaquez au sol. J’ai pas très bien compris… Des outrages ? On est là, on parle… De retour en cellule, on me met deux coups de Taser. Franchement, à cette heure-ci, je me demande encore ce que je fais là » . À la barre, sept mois plus tard, aucune évolution à signaler : « J’ai répondu familièrement, avec un certain ton, mais ce ne sont pas des outrages. Je pense que j’ai subi un excès de zèle suite à ma personnalité, à ma façon de bouger. Peut-être que la personne en face de moi n’a pas su gérer son stress… »
Le président, qui a très bon goût télévisuel, s’exclame en souriant : « Mais bon sang, c’est quand même bien vous qui les avez harangués, comme diraient les Deschiens ! » Jérôme reste songeur : “Ouais, j’ai peut-être eu des mots… et encore, j’sais même pas si j’ai eu des mots ».
Ce bénéficiaire du RSA songerait à entamer une formation pour embrasser une carrière « dans le funéraire ou la logistique, je ne sais pas encore ». À son âge, la retraite a beau s’éloigner de jour en jour, il serait temps qu’il se décide. Il a déjà été condamné onze fois. « Vous vous rendez compte que vous avez passé neuf ans en prison ! », s’étrangle le juge. Jérôme, impayable, confirme : « Vous savez, ça passe vite… »
Pour cette fois, il écope de 180 euros d’amende. On parie qu’il ne la paiera pas et qu’il aura une bonne excuse ?

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